39- Mémoire du GONm ; les interviews du 50° anniversaire : Anaïs Wion
Posté : 08 janv. 2023, 15:49
Anaïs est une ornithologue « récente », puisque sa passion s’est déclarée il y a quelques années de façon tout à fait imprévue. Cherbourgeoise, manchote de cœur, elle a eu une enfance sans grande imprégnation naturaliste. De longues études l’ont menée à une carrière de chercheuse historienne au CNRS à Paris, spécialiste de l’histoire de l’Ethiopie chrétienne du XVème au XIXème siècles.
Mon métier m’a mené à voyager et à habiter en Éthiopie à de nombreuses reprises depuis 1996. C’est là qu’en 2013, en week-end avec un couple d’amis anglais dans un lodge au bord d’un lac dans un cratère volcanique, nous avons passé trois jours à observer les oiseaux, grâce aux jumelles et aux ouvrages d’ornitho mis à disposition par le propriétaire du lodge. J’ai découvert tous ces oiseaux colorés, assez peu sauvages avec une distance de fuite réduite et cela a été le déclic ! De 2013 à 2015, munie d’une paire de jumelles premier prix et d’un médiocre guide des oiseaux d’Afrique de l’Est, j’ai observé de façon obsessionnelle les oiseaux éthiopiens. Je pratique alors en totale autodidacte, en prenant des photos, en notant les caractéristiques de reconnaissance, et sans aucune connaissance globale ni théorique.
En 2015, je rentre en France et je continue à essayer d’observer, toujours en solitaire et en autodidacte. Pendant une année, j’observe seule entre Caen et Paris. C’est difficile, je n’y comprends rien, les oiseaux me semblent invisibles ! Pour apprendre, j’adhère à des associations ornithologiques dont je trouve l’adresse sur Internet et, ainsi, je deviens membre du CORIF, le groupe parisien, ainsi que membre du GONm, le groupe normand. Je partage en effet mon temps entre les deux villes, Paris pour mon travail au CNRS, et Caen en télétravail une semaine sur quatre.
Je fais à peu près une sortie hebdomadaire avec le CORIF entre 2016 et 2019, sur les sites parisiens (surtout des cimetières et des parcs !). Je fais des stages avec les ornithologues francilien·nes (Zélande, étangs de Brenne, Baie de Somme, engoulevents en forêt de Fontainebleau). Mais, sans voiture, il y a peu d’enquête accessible car elles sont fréquemment en banlieue et animées par les groupes locaux. Le Corif, désormais LPO-IdF, fait heureusement beaucoup d’ornithologie urbaine, ce qui est plus pratique pour moi. Je participe ainsi à l’enquête Moineaux qui existe depuis 2003, avec un nouveau protocole qualitatif depuis 2018. J’effectue le suivi de 6 colonies dans mon arrondissement, le 18ème. C’est très formateur et le protocole d’enquête est très précis : il faut observer de nombreux critères, en particulier pour estimer les distances nids – abris – site de nourrissage et points d’eau. Je participe aussi, depuis peu, à une formation pour le suivi des chantiers et le respect des nids de moineaux, martinets et hirondelles.
Parallèlement, à partir de 2016, je commence à aller voir ce qui se passe au GONm. J’y rencontre beaucoup de gens qui peuvent transmettre leurs connaissances.
Bruno Lang m’entraîne pour aller sur les communes pauvres au cours d’une bonne dizaine de sorties, ce qui est une excellente formation notamment aux chants et cris. Je l’ai accompagné aussi aux sorties sur la prairie de Caen. Je m’inscris aux stages comme celui de Catherine Burban sur la côte du Cotentin et celui de Luc Loison en baie du Mont Saint-Michel. J’ai aussi fait la connaissance des réserves du GONm en particulier celles du Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin où j’ai suivi pendant deux jours le stage de baguage mené par Alain Chartier. J’ai fait la connaissance de Maëva Dufour qui aide à la gestion de ces marais, de Fabrice Gallien à Chausey où j’ai eu le bonheur de participer au stage une fois en hiver et deux fois à l’Ascension entre 2020 et 2022. J’ai aussi pu visiter la réserve de Vauville avec Marie-Léa Travert. Je viens aussi au week-end de la migration à Carolles en septembre et j’y rencontre Maryse Fuchs qui, amicalement, m’invite à la Lucerne et où j’ai rencontré pas mal d’ornithologues normands. Enfin, de 2017 à 2019, j’ai participé aux stages d’initiation de Didier Desvaux, la première année stage débutant et la deuxième pour les plus avertis, « les ambassadeurs et ambassadrices ». Ces sorties régulières ont été importantes pour mieux comprendre la diversité des écosystèmes normands, entre autres choses. Enfin, j’ai aussi suivi le stage théorique à Tatihou avec Gérard et Claire Debout, très complémentaire des observations de terrain, et qui révèle un tout autre aspect de la connaissance de l’avifaune.
Au GONm chacun·e a sa spécialité et son terrain d’action : libre à une nouvelle adhérente de les découvrir ! je trouve formidable qu’au GONm, on apprenne de tous et de toutes, des choses très variées et de façon à chaque fois différente et complémentaire, sans critique et avec bienveillance même si au début on n’est pas très bon, ce qui est normal. On peut confondre le rouge du bouvreuil mal vu dans les jumelles avec la livrée pimpante et rouge aussi de la poitrine du pinson des arbres (c’est du vécu !), mais … petit à petit on apprend. Et d’ailleurs c’est ce qui me plait dans l’ornithologie, c’est qu’on ne cesse jamais d’apprendre.
Malgré cette activité intense de formation, ce n’est que début 2018 que je me suis enfin mieux équipée : des très bonnes jumelles, une longue-vue d’entrée de gamme et un pied. L’été 2018 je complète avec un enregistreur (Zoom H2n) pour pouvoir réécouter et comparer les sons, consultant beaucoup la base de données Xenocanto. Mais cela prend beaucoup de temps et, acquérant un peu plus d’aisance dans la reconnaissance des chants, je me suis lassée de tout enregistrer et de tout dérusher de retour chez moi !
À partir de 2020, j’ai eu envie de suivre un refuge et j’ai écrit à Jean Collette qui m’a donné des conseils et m’a proposé d’en suivre un pas trop loin : un double refuge sur les communes de Pont-l’Evêque – Blangy-le -Château. Je fais un suivi deux fois par an, le propriétaire, François Joly, est très volontaire et fait beaucoup de choses pour protéger la biodiversité sur ses propriétés, notamment en laissant en friche volontairement certains espaces.
Toujours à l’initiative de jean Collette, un petit groupe de bénévoles a proposé à la mairie de la commune d’Ifs d’assurer le suivi de la « forêt » communale, un bois de 34 hectares en bordure du périphérique. Planté il y a trente ans pour faire du bois de chauffe, ce boisement est haut et trop serré et la mairie veut le modifier pour favoriser la biodiversité en développant en particulier la strate intermédiaire, celle des taillis. Avec Philippe Gachet, Sylvain Flochel, Andrée Lasquellec et Jean-Pierre Moulin, nous effectuons une sortie par mois pour faire un premier état des lieux avant la modification du boisement. Je fais aussi des sorties en soirée avec Andrée pour le suivi des dortoirs de pies et des sorties nocturnes avec Sylvain qui mène l’enquête sur les rapaces nocturnes. Nous partageons nos observations sur une Dropbox et Jean Collette commente, questionne, toujours réactif à ce travail collectif. Le bilan qu’il a tiré de la première année d’observation est impressionnant et cela m’apprend beaucoup sur l’utilisation des données. Nous accompagnerons ainsi les travaux et essaierons d’en mesurer les conséquences. Nous faisons aussi de la communication : animations, articles de presse. Les 21 et 22 janvier 2023, j’assurerai quatre animations dans la forêt pour préparer au grand comptage des oiseaux du jardin.
Souvent, les observations se font en groupe, ce qui est un filet de sécurité quand on débute. Mais dès 2018 j’ai commencé à m’investir dans l’enquête Tendances qui se fait seule. C’est Didier Desvaux qui met le pied à l’étrier à ses stagiaires, il nous incite à avoir confiance en nous et à ne pas hésiter à participer à des enquêtes. J’ai ainsi commencé à mettre mes observations sur le fichier Excel dédié et je vois bien que je progresse au fil des années. J’aimerais appliquer à mon parcours Tendances, si cela est pertinent, la méthode de cartographie des territoires des oiseaux élaborée par Jean Collette et que l’on utilise en forêt d’Ifs.
J’ai aussi participé à l’enquête Haies au printemps 2022 mais, même si je l’ai trouvée compliquée, elle m’a confortée dans l’idée d’en faire un peu plus.
Le Petit Cormoran est le lien idéal pour connaître la vie du groupe : on découvre, par exemple, à la fin de chaque numéro des lieux paradisiaques (refuges ou réserves) qui nécessitent des adhérent·es impliqué·e s. C’est l’occasion de se poser des questions. Je m’aperçois que la vie du groupe représente un boulot très prenant. Par ailleurs, c’est mon impression, l’âge moyen des gens impliqués n’est pas très jeune et le genre pas très féminin... Même si j’ai croisé finalement beaucoup de femmes au GONm, ce ne sont pas souvent elles qui se mettent en valeur. Ce n’est, en réalité, pas une caractéristique particulière au GONm, les revues ornithologiques restent majoritairement dirigées et alimentées par des hommes, par exemple. Mais si je compare au CORIF ou LPO/IdF, les instances y sont plus féminisées. Cela vaudrait le coup de réfléchir aux raisons de cet effacement des femmes dans la vie associative et naturaliste, qui se traduit aussi dans leur absence de ce corpus d’entretiens réalisé par Claire Debout malgré ses sollicitations. J’aurais bien aimé lire les récits d’autres femmes que je sais actives au GONm, ou des jeunes femmes qui faisaient partie du groupe débutant avec Didier en même temps que moi. Sentiment d’absence de légitimité ? Autres investissements associatifs ou professionnels par ailleurs ? Rapport très genré avec les activités naturalistes (en comparaison avec la chasse, qui pourtant voit un renouveau de la participation féminine en ce moment) ? Le manque de visibilité des femmes est un chantier qui mérite -toujours et partout- réflexion et discussion !
Étant historienne de profession, ma passion pour l’ornithologie et ma curiosité pour les pratiques m’a un temps fait envisager de changer mon champ d’études pour faire l’histoire de l’ornithologie amateure en France. Mener des entretiens avec les ornithologues bénévoles et les salarié·es du milieu associatif dans quelques régions ciblées et me plonger dans les archives permettrait de couvrir un champ d’étude qui demeure à explorer. L’importance des archives est cruciale : archivages des informations et des données scientifiques, penser l’insertion des associations régionales dans les infrastructures nationales, se poser la question de ce qu’est une donnée, quel est son statut, quelles sont les évolutions de cette notion, etc. ? L’archivage est un défi et on n’a pas encore trouvé mieux que le papier pour assurer la pérennité des informations, néanmoins il va falloir aussi archiver les données numériques. Je suis ravie que le GONm dépose ses archives à des institutions dédiées, comme les Archives départementales, et j’espère que d’autres associations ont la même démarche. Quoi qu’il en soit, pour le moment je me suis trop investie sur l’Ethiopie pour quitter cette spécialité mais on verra d’ici une quinzaine d’années quand je prendrai ma retraite !
Pour conclure, bien qu’assez nouvelle en ornitho, j’ai déjà rencontré beaucoup de monde et je dis un grand merci à tous ceux et celles que j’ai croisé·es, qui m’ont appris tant de choses, et avec qui j’ai aussi bien rigolé et partagé de supers moments. Même si je ne suis pas assez souvent en Normandie, j’ai très envie de participer activement. Au GONm, c’est facile de s’investir, les gens sont disponibles, à l’écoute, et en quelques années j’ai appris énormément.