19 - Mémoires du GONm ; les interviews du 50°anniversaire : Cyriaque Lethuillier
Posté : 04 juil. 2022, 09:44
Né en 1977 au Havre dans une fratrie de 3 garçons, chez des parents boulangers- pâtissiers, je suis donc un urbain. Mais, toutes les vacances scolaires se passent à la ferme de mon grand-père agriculteur sur la commune de La Poterie – Cap d’Antifer, vous allez comprendre mon attachement affectif puissant au territoire du Cap d’Antifer.
Comme pour beaucoup d’enfants à la campagne, mon grand-père me montre des nids dans les haies (chardonneret), dans les pommiers et aussi du haut du Cap, les cormorans qui volaient au raz de l'eau, le poulailler aux mouettes, sans savoir qu’il s’agissait de mouettes tridactyles (vers 1980). Il était naturaliste à sa façon, observateur et m’a transmis une fibre naturaliste naturelle. Comme tout ado, j’ai eu envie de devenir vétérinaire puis d’autre chose élargissant le champ des possibles dans le domaine de la nature. Mon père, lui, est un grand jardinier et a aussi un goût certain pour la nature. Il m’emmène en baie de Seine sur la digue reposoir de la CIME pour observer des oiseaux inconnus : limicoles, canards. Alors, ah ! je voulais être ornithologue !
Mes premiers contacts avec le GONm se firent sur la digue, j’ai interrogé les animateurs qui étaient sur place qui m’expliquèrent qu’il n’y avait pas d’ornithos professionnels en France, la filière est très étroite ! en repartant, il y avait un ou deux grands gravelots posés sur le capot de la voiture, plombés par des porteurs de fusil et donc braconnés (je n’appelle pas ça des chasseurs). Ces oiseaux morts furent pour moi un choc ! Dès l’âge de 10 ans mon grand-père m’avait emmené à la chasse, c’était un chasseur de plaine et pas un porteur de fusil.
Mon 2ème contact avec le GONm fut au lycée agricole d’Yvetot en 1993 ou 94 pour écouter la présentation de Laurent Demongin, alors objecteur au GONm, qui n’avait pas d’opposition franche à la chasse et pour deux jeunes ruraux ça ouvrait le champ de la découverte de la nature par d’autre moyen que la chasse mais sans l’exclure. Avec mon copain de classe, on adhère alors au GONm.
Je participe alors à l’atlas, aux enquêtes avec mon ami Jean-Baptiste Ricouard qui est un agriculteur avec un intérêt réel pour les oiseaux, c’est plutôt rare mais, et donc c'est très précieux. Jean-Baptiste, depuis, a repris une ferme bio, il plante des haies par lui-même et aussi grâce à des campagnes de plantation de haies.
On a fait ensemble pas mal de sorties avec le club nature géré par Mme Mériot, notre professeur de SVT, c’était une enseignante active qui transmettait sa culture naturaliste, elle m’a influencé dans mon choix pour m’orienter vers le lycée agricole d’Yvetot en seconde et j’ai passé mon BTA gestion de la faune sauvage (ancêtre du bac pro GMNF actuel) ; pour mon BTA GFS je devais chercher un stage, axé cynégétique : j’ai écrit à toutes les Fédérations de chasse et n’ai eu aucune réponse ! Connaissant le GONm, j’en ai parlé à Gérard Debout qui m’a proposé un stage sur la réserve du Cap d’Antifer : extraordinaire, sa réponse fut immédiate pour un stage de 5 mois en avril 1995 pour le décompte des oiseaux marins nicheurs à la réserve (réserve GONm depuis 1991) : surveillance du faucon pèlerin nicheur pour la 2° année, comptage de la colonie de mouettes tridactyles alors florissante, de la colonie de grands cormorans avec ses 120 nids et plus (15 nids aujourd’hui), l’installation des cormorans huppés, les goélands argentés et marins nombreux et le goéland brun qui a disparu. Mon rapport de stage me permit d’obtenir mon BTA.
J’ai poursuivi avec un BTS Protection de la nature et j’ai fait un stage sur l’île de Beniguet avec l’ONCSF en continuant sur le thème des oiseaux marins. Le recensement des goélands bruns m’a fait côtoyer Pierre Yésou.
Vint le temps du service national que je voulais faire comme « formateur relai environnement écologie » en gendarmerie : être au service de mon pays pour des affaires de pollution. Finalement je rejoins le premier régiment d’infanterie de la Garde républicaine, pour une véritable expérience humaine à Nanterre . Étant à 5 minutes du RER A, j’ai passé beaucoup de temps à la bibliothèque du Museum d’histoire naturelle où j’ai lu des ouvrages sur la nature et j’ai fréquenté la petite librairie à côté du Museum.
En rentrant du service national je joins l’association DEFICAUX, association locale partenaire du CEL. J’ai alors un emploi-jeune comme agent de site naturel sur la valleuse d’Antifer et la falaise amont d’Etretat puis, mon poste est pérennisé et je l’ai occupé pendant à peu près vingt ans puisque je l’ai quitté en 2021. J’ai travaillé avec beaucoup d’écoles (sans doute plus de 10 000 élèves), nous étions deux salariés pour gérer 70 herbivores (chèvres et chevaux) pour l’entretien des valleuses. Une grande satisfaction est de retrouver les gamins que j’ai eu et qui reviennent avec leurs enfants, je suis heureux de voir qu’il y a eu transmission d’un certain sens de la nature et que j’ai réussi à donner du sens à l’existence de l’être humain.
Mon engagement public :
En 2008, je rentre au conseil municipal de ma commune La Poterie-Cap d’Antifer et en 2014 j’en deviens le maire, réélu en 2020. En prenant cette fonction j’ai voulu augmenter la prise en compte de la nature dans le secteur public ; j’ai participé à l’opération « grand site falaises d’Etretat » pour une meilleure prise en compte du patrimoine naturel dans le tourisme surtout pour l’attractivité du paysage. Un syndicat mixte devrait se mettre en place (communes, collectivités et département) pour mieux gérer les flux de fréquentation, mieux accueillir le public, le sensibiliser à autre chose que la photographie, le sensibiliser à « l’esprit des lieux », mais c’est une mission difficile.
Récemment, s’est créée la communauté urbaine – Le Havre Seine Métropole – comprenant 54 communes pour 275 000 habitants. C’est une grosse structure, mais les moyens sont plus importants pour la biodiversité, les espaces naturels, les aménagements naturels ; j’ai pris la fonction de Vice – Président en charge de la nature et des espaces naturels, c’est une fonction élective enthousiasmante car c’est une action publique axée 1/ sur l’amélioration des connaissances, 2/ sur la gestion et la prise en compte de la nature dans les écoles, chez les agriculteurs et la communauté urbaine, 3/ sur l’éducation à la nature, la vraie : monter en compétence. Il faut comprendre les enjeux mais aussi les attentes des habitants dans leur environnement proche ; au cœur de la ville, les citadins ne doivent pas se contenter de la pâquerette mais il faut leur montrer la vraie nature mais il faut leur montrer la vraie nature ; globalement les naturalistes manquent d’ambition, ils sont bien sûr trop liés avec les financeurs, il faut devenir plus indépendants.
Comme je l’ai déjà dit, mes grands-parents comme mon Papa jardinier savaient la beauté de la nature, la qualité d’une rose, l’amour de la terre. Mon oncle aussi agriculteur très pédagogue, célibataire, très bon, a un bon contact avec les gens, il est devenu mon bras droit dans mes fonctions électives.
J’ai trois enfants, Jules, 19 ans, qui rentre dans la marine, Albert, 17 ans, qui aime voyager et Léontine, 13 ans, qui a la fibre animalière, elle aime le cheval.
Mon lien continu avec le GONm :
Ce lien est maintenu par la réserve des falaises où sont toujours faits les décomptes du cormoran, des goélands, le suivi du faucon pèlerin. Cette réserve est une véritable zone de quiétude, fréquentée par quelques rares pêcheurs, quelques chercheurs de fossiles mais ils ne sont pas gênants. Les oiseaux meurent plus par les filets maillants qui les emprisonnent.
La défense de zone naturelle comme Antifer est une problématique difficile : il y a antinomie entre la défense du site et le désir de le rendre accessible ; il faut conscientiser les gens mais à trop ouvrir on risque d’anéantir. L’aménagement du territoire est souvent contraire à la logique de la valorisation, il faut une démarche de protection, les zones de quiétude sont assimilables à des mesures compensatoires. C’est un gros travail pour les futurs députés.
Si l’on prend l’exemple du problème des cerfs à Rambouillet : la reproduction est en déclin à cause des sentiers trop nombreux créés pour les touristes ; les cerfs sont plus concentrés, infligeant des dégâts à la sylviculture : illustration de l’approche économique. Si je prends la métaphore de la pièce de théâtre, il y a de bons acteurs sur la scène mais, il doit exister des coulisses ou zones de quiétude pour une meilleure qualité du spectacle.
Mon panthéon ornithologique :
Je suis conservateur de la réserve d'Antifer et je connais donc bien le faucon pélerin.
Le faucon pèlerin est un symbole ; comme chez les indiens, le faucon passe un message ; il est un dieu chez les égyptiens, il figure sur les totems des indiens. J’ai une profonde admiration pour cet animal quand on le croise sur la côte d’Albâtre, c’est quasi notre tigre, notre ours, c’est pour moi un archétype de la nature et il ne perd pas son prestige même s’il devient plus nombreux.
Sa puissance me procure de l’émotion, j’ai fait évoluer mon rapport au caractère remarquable de cette espèce, rare à l’échelle globale. Jeune, on cavale après l’espèce rare et l’homme a failli liquider cet oiseau ; mais, si on stoppe l’utilisation du DDT, cette espèce résiliente revient : cela doit donner de l’espoir aux jeunes.
Ma quête :
Ce qui met en mouvement l’homme c’est la peur, on vient de le voir avec le COVID. Mais aussi le désir et l’amour, sans désir il n’y a pas d’action.
La vie est courte, plus que passionné il faut être habité par la nature, avoir un profond désir de défendre la nature et de partager jusqu’à aller à l’engagement public malgré les difficultés des métiers ; je suis convaincu que la beauté de la nature libre donne du sens à notre vie, nous renvoie à notre humanité ; défendre la nature donne du sens à la vie, avec le désir de partager avec d’autres. La beauté est très importante, je le dis avec beaucoup de sincérité.
Robert Hainard est un penseur important, sa lecture devrait être obligatoire à l’école ou plus tard dans les formations qui s’occupent d’aménagement du territoire.
Le GONm :
Association régionale, importante. Longue vie au GONm.