10 - Mémoires du GONm ; les interviews du 50° anniversaire : Jacques Alamargot
Posté : 06 avr. 2022, 11:28
Alors par souci de commodité, peut-être par paresse m’a-t-il dit, il s’est tourné vers les oiseaux. Ceux-ci sont faciles à voir, ubiquistes, et même s’ils n’expriment pas de tendresse, ils sont beaux, exercent une certaine sensualité et en les observant simplement en plein air, on peut tout savoir, en vrai, sur leur biologie, comme avec le goéland urbain par exemple qui expose toutes les étapes de sa vie aux yeux des citadins. Voici ce qu’il m’a confié :
En effet, pour moi, les oiseaux sont fascinants car ils dominent le monde en maîtrisant l’espace grâce à leur vol. Ils arpentent librement le ciel et c’est pour cela que, plus tard, j’ai passé mon brevet de pilote privé d’avion pour, moi aussi, comme les oiseaux, du ciel dominer la terre. Tout compte fait, c’était aussi le fantasme d’Icare. Comme les oiseaux, je voulais aussi tout voir, ainsi j’ai voyagé de Jersey, mon premier voyage sans mes parents à 18 ans, à toute l’Europe du Nord et au Maghreb, en Tunisie. En 1968 je voulais aller voir Sainte-Sophie en Turquie et de là, toujours en 2CV camionnette, je suis allé au Liban et en Israël. Au cours de ce voyage, je me suis aperçu que j’étais également attiré par des terres bibliques, réminiscence du catéchisme de mon éducation chrétienne, sans doute, bien que n’étant pas particulièrement mystique. Mais on comprend que l’être humain a besoin de spirituel. Les oiseaux sont, pour moi, un moyen de côtoyer le ciel et … le paradis. Le domaine des oiseaux c’est l’espace et la hauteur, moi aussi je rêvais de position élevée avec peut-être l’espoir de tout comprendre. D’ailleurs j’ai toujours pris soin d’habiter dans des positions élevées comme mon 7° étage actuel à Granville, pour voir le paysage de haut, pour dominer ou en avoir l’impression !
Les oiseaux me permettent aussi la domination du temps. Je me suis toujours entraîné à être résistant pour avoir la vie la plus indépendante et mieux équilibrée possible. J’ai essayé aussi de défier la disparition en conservant l’éphémère, comme en collectionnant autrefois les œufs des oiseaux de nos campagnes, naturalisant les oiseaux trouvés morts ou que l’on m’apportait, en dessinant, et surtout en faisant des photos. Pour moi, les photos permettent d’arrêter le temps, elles sont ma mémoire et le témoignage d’un moment. C’est aussi un défi à la mort. C’est pourquoi je prends des photos de tout, en tout lieu et en toute circonstance.
L’obtention de diplômes (doctorat vétérinaire obtenu à Maisons-Alfort puis maitrise vétérinaire obtenue au Québec permettant d’enseigner en faculté), octroie des privilèges qui libèrent de contraintes sociales. J’avais soif de savoir et voulais découvrir le secret de la vie, par exemple le secret du vol des oiseaux comme celui du pigeon ramier, espèce ainsi appelée pour son vol dit « ramé », terme qui n’existe plus dans les descriptions actuelles du vol car il ne s’agit pas de mouvements similaires à celui d’une rame mais de vol battu. J’ai aussi observé que les oiseaux tendent à éviter les obstacles ; ils les contournent plutôt, et ainsi évitent les agressions contrairement aux mammifères qui eux s’affrontent, jusqu’au contact physique. Personnellement, à ce titre, je suis plus proche des oiseaux, j’aime la diplomatie et évite les confrontations.
Je me sens un peu misanthrope, peut-être par commodité et paresse : l’être humain est si compliqué !
Cette soif de savoir, de découvrir les secrets de la vie, c’est un peu l’attrait « du fruit défendu » de la Bible qui devait rendre plus indépendant. Les recherches sur le vol, sur les comportements (ce que je fais avec les goélands à Granville), sur les migrations, me passionnent. Ainsi, les dernières connaissances acquises par Alain Chartier sur la migration des courlis cendrés normands me forcent à remettre en question mes savoirs, maintenant obsolètes. Qu’est-ce que le courlis, sur lequel Alain a fixé un GPS et qu’il a suivi en direct, avait dans la tête pour voyager pratiquement en ligne droite dessus la mer, loin des côtes, sans escale pendant 1.000 km, de son quartier de nidification, situé dans les marais de Carentan, jusqu’à son site d’hivernage ibérique. Quelle indépendance !
Les oiseaux peuvent effectuer de grands déplacements, ils maîtrisent l’espace aérien mais aussi le milieu aquatique aussi bien que le terrestre. Ce qui m’intéresse aussi, c’est de pouvoir, en extrapolant mes observations effectuées depuis plusieurs années, prévoir la phénologie de l’oiseau, par exemple énoncer que à telle heure, tel jour à venir, sur le port de Granville on devrait compter 30 goélands argentés, 15 goélands marins etc..
Je crois aussi que j’exprime un peu le « syndrome du père Noël » ; père Noël auquel on nous fait croire quand on est enfant et, en fait, on découvre et on nous dit que c’est une blague, un mensonge. Depuis, il me faut des preuves de ce tout que l’on m’énonce pour y croire. La photo est un bon moyen d’avoir des preuves (quoiqu’aujourd’hui on peut les « trafiquer »). J’ai un réel besoin de vérifier.
Enfin, l’informatique m’aide beaucoup. C’est comme une deuxième mémoire, beaucoup plus pratique que des notes manuscrites d’autrefois. L’informatique me permet de numériser toutes mes photos, de les stocker dans un très petit volume, de les classer. Mais cela ne m’empêche pas d’en tirer certaines sur papier, (j’ai un abonnement chez un photographe de Saint-Lô), de les classer dans des albums. Les clichés sont alors plus conviviaux à partager et, on ne sait jamais, si l’informatique défaillait ! A ce jour, dans mon ordinateur j’ai 237.000 clichés numérisés, dont 23.000 sur les oiseaux, et dans 325 albums, dont 34 pour les oiseaux, j’ai environ 100.000 photos papier, dont 13.000 sur les oiseaux.
Je suis un peu maniaque des chiffres, peut-être par souci de rigueur ; je mesure tout, dimensions et poids des oiseaux en main compris. Dès que l’occasion se présente et je note …
ORNITHOCHRONOLOGIE :
Né en 1945 à Saint-Lô, je devais avoir un gène oiseaux car dès l’âge de 4-5 ans je suis sensible à l’histoire naturelle et aux animaux et dès 1953 je vais à la découverte des oiseaux et je collectionne des œufs. J’ai été émerveillé lorsqu’étant sur le pas de la porte de ma maison, mon père me dit, « tu vois ce chant est celui d’un pinson ». Je ne me doutais pas alors, qu’une dizaine d’années plus tard, j’allais faire une impression similaire auprès d’aînés plutôt botanistes, en identifiant des oiseaux d’après leur chant (anecdote relatée par l’un d’entre eux, Alain Typlot (La madeleine de l’ornitho, sans jumelles ; Petit Cormoran n°131-mai/juin 2002 p 24-25). J’ai été aussi enchanté par la lecture du roman de Selma Lagerlöf « le merveilleux voyage de Nils Holgersson » : histoire d’un jeune garçon dont la taille a été réduite magiquement et qui voyage sur le dos d’une oie laquelle parcourt la Suède ; et encore enchanté par la lecture en classe primaire du récit d’un paysan accompagné d’un corbeau (une corneille sans doute), son amie (contes de C. Frémine). En 1957, à ma communion solennelle, j’ai eu une paire de jumelles, ce qui m’a permis de « voir de près » les oiseaux. Je faisais aussi parfois des captures notamment au lance-pierre, ce qui me permettait de les voir plus près. Les chasseurs aussi me rapportaient des oiseaux, non comestibles comme des hérons, des butors ou des rapaces car ils savaient que je m’intéressais avec passion aux oiseaux. Dès l’âge de 11 ans je me promenais à pied dans le bocage saint-lois et dans les mielles et le havre de Créances (commune où résidaient mes grands-parents maternels). En 1954, j’ai eu un vélo ce qui m’a permis d’aller dans les bois des environs de Saint-Lô et jusqu’en forêt de Cerisy où je découvre des nids de buse, de faucon hobereau, le pouillot siffleur, et aussi en baie des Veys où je découvre l’avifaune marine, y compris le bruant des neiges. A 17 ans j’ai eu un cyclomoteur pour mon baccalauréat (le premier, qui existait alors), ce qui a facilité mes déplacements et accru mon rayon d’intervention et puis après, c’est une moto puis une auto qui m’ont véhiculé !
Vers 14 ans, je suis allé voir Mademoiselle Lecourtois dont je ne connaissais pas le prénom mais que ses élèves de l’Ecole Normale d’Instituteurs de St-Lô appelaient respectueusement « Titine » en référence à « Latine » car dans les cours de « sciences naturelles » qu’elle dispensait, elle ne donnait que les noms latins aux oiseaux et aux plantes. Elle avait acquis la compétence de bagueur et je lui servais de petite main en baguant moi-même, avec ses bagues, des jeunes (merle, grive, pinson, chardonneret etc.) au nid que j’avais repérés en courant les haies du bocage saint-lois. Je participais aussi activement aux stages d’observation, d’histoire naturelle et de baguage que Melle Lecourtois organisait. A 16 ans, j’ai commandé (car il n’était pas en librairie à Saint-Lô) le « guide des oiseaux d’Europe » illustré par R.T. Peterson, ouvrage révolutionnaire à l’époque par l’exhaustivité et la qualité des plumages présentés. J’y ai appris, avec avidité, toutes les espèces, leurs plumages et j’ai ainsi identifié, par exemple, une femelle de pinson des arbres qui, pour moi, était jusqu’à présent un oiseau inconnu car il ne ressemblait à aucune représentation figurant dans les ouvrages que je possédais alors. Je suis allé tôt à Ouessant, au stage ornithologique renommé organisé à l’époque par Michel-Hervé Julien ; et pour rassurer mes parents (je n’avais que 18 ans), je logeais dans la maison de, et avec Mlle Lecourtois. J’y ai connu deux jeunes vendéens de mon âge, passionnés également d’ornithologie dont l’objectif était de cocher et collecter toutes les espèces du Peterson. J’ai aussi été ravi lorsqu’à 17 ans, j’ai ramené à la maison un œuf de buse, collecté dans une aire escaladée dans le bois de La-Barre-de-Semilly. C’était en effet le Graal pour mon père qui n’en avait jamais trouvé alors qu’il s’intéressait à ces rapaces en gardant les vaches dans sa jeunesse. En 1968, j’ai déniché 2 jeunes crécerelles au sommet de la carrière du Mont-Castre (commune de Lithaire près de La Haye-du-Puits). Je les ai élevées en fauconnier : intenses émotions de voir ces oiseaux libres, partir loin et revenir sur le poing à mon appel. J’ai également l’année suivante, avec autant d’émotions, entrainé des jeunes éperviers puis un jeune Faucon hobereau.
GONm ET NEZ-DE-JOBOURG
Ce sont Alain Typlot, Jean Collette et Bernard Braillon (BBr) qui initient un groupe pour remplacer la SEPNBC (Société pour l’Etude et la Protection de la Nature en Bretagne et Cotentin) dans la Manche. Je me souviens de BBr avec son béret (c’était un amoureux des Pyrénées donc de sa coiffure traditionnelle) et, lors de pique-nique entre ornithologues qu’il organisait, des mouvements de sa cuiller en bouche avec des allers et retours et des retournements tout à fait étonnants. Il était un peu maniaque.
C’est là que les débuts du GONm eurent lieu. Il s’agissait d’un groupe sans couleur politique, dédié à l’étude des oiseaux de la faune sauvage de Normandie, à leur protection et à la diffusion des connaissances. BBr élabore les formulaires de renvoi des observations (les fiches RSS), les collecte, les traite et crée la revue Le Cormoran. On connaît la suite dynamique de cette association que je soutiens sans réserve.
Je pense que l’association a su parfaitement prendre le tournant informatique en particulier pour les relations entre adhérents comme par exemple avec Philippe Gachet qui rédige l’actualité du GONm tous les mois et avec les actualités mises continuellement à jour sur le site géré par Guillaume Debout.
J’ai toujours eu du plaisir à assister aux diverses activités du GONm ; le week-end annuel de la St-Michel à Carolles n’étant pas des moindres. La lecture de la revue annuelle, « Le Cormoran » ainsi plus tard, celle bimestrielle du « Le Petit Cormoran ». Les exposés et conférences que le groupe organise, sous la houlette notamment de Claire et de Gérard Debout, que ce soit lors de ce week-end ou lors des assemblées générale, m’ont apporté de précieux compléments de connaissances. Les sorties dans des sites remarquable ou des réserves me permettent de connaître des collègues, d’améliorer et tester mes connaissances de terrain, d’autant qu’en tant qu’ornithologue, nous sommes généralement solitaires.
Depuis ma retraite prise fin 2005, je suis domicilié à Granville et j’observe, bien sûr intensément, les oiseaux notamment les goélands urbains. Aussi, sous la responsabilité du GONm, j’ai été désigné comme « ornithologue expérimenté », prévu dans les arrêtés préfectoraux qui donnent l’autorisation à la mairie de réduire les populations de goélands argentés urbains par stérilisation de leurs œufs. Il s’agissait en fait, pour moi de vérifier que les prescriptions de l’arrêté préfectoral d’autorisation étaient bien respectées. Parmi celles-ci, la compétence ornithologique des experts cordistes intervenants, la qualité de leur produits appliqués sur les œufs ; je vérifiais l’interdiction des actions sur les goélands autres qu’argentés car les marins et les bruns nichent aussi sur les toits-terrasses de Granville.
C’est un travail intéressant, riche en contacts humains, mais très chronophage notamment en matière de rédaction des rapports. Moins pesant, je suis un trajet « tendances » dans le cadre du programme normand orchestré par Claire Debout. Je parcours aussi, à la date voulue, dans le cadre du décompte hivernal des oiseaux échoués sur les plages de la Manche, les 10 km de plage au nord de Granville qui me sont attribués, sous la houlette de Jocelyn Desmares. Je parcours, à date et heure prévues les 6 km de côtes au Sud de Granville, dans le cadre des décomptes saisonniers des limicoles et anatidés de la baie du Mont Saint-Michel orchestrés à présent par Fabrice Cochard.
Je n’oublie pas non plus une assistance, même très modeste, au centre de soins pour oiseaux de Gonneville-en-Saire, animé par Nicole Girard.
Le Nez-de-Jobourg est un cap au bout des landes maritimes de la Hague, lieu de légendes vikings et très beau. Je l’avais découvert avec mes parents en 1958, lors d’une visite dominicale. J’avais eu alors le souffle coupé, après la traversée d’une lande rude, désertique et inhospitalière, par la vision soudaine d’une vue dominante sur la mer avec une côte sauvage, dépourvue d’être humain, loin de la civilisation, mais fief des oiseaux. Ce cap aux limites précises comme une île déserte …, on peut presque l’embrasser, et ces goélands qui passent en vol et encadrent ce diamant … ! On voit les goélands en vol sur le dessus, avec l’impression de les accompagner, d’être en empathie avec eux, voire de les chevaucher comme le fait Nils Holgersson juché sur le dos de son oie. Là encore avec l’impression de maîtriser l’espace et le ciel !
En 1959-1960, Spitz et Nicolau-Guillaumet avaient rédigé un rapport sur la Hague et y avaient parlé de l’existence du grand corbeau.
En 1962, j’étais déjà amoureux de ce site et je fis, sans le dire à mes parents, sur une mobylette empruntée à un cousin, un aller-retour à partir de Saint-Lô. L’année suivante, en 1963, je prends le car jusqu’à Cherbourg avec mon vélo sur le toit, et, de Cherbourg, à la force des mollets, je vais au Nez-de-Jobourg. J’y plante ma petite tente canadienne pour y rester quelques jours et notamment chercher le nid du grand corbeau. C’est le début d’un long suivi. De 1958 jusqu’à mars 2022, j’ai réalisé 269 visites sur le site soit 932 heures d’observation avec un maximum annuel de 15 visites en 2007. Elles sont toutes colligées dans mes notes. Et le 27 mars 1963, miracle, je trouve le nid du grand-corbeau ! c’est le premier nid reconnu de l’espèce en Normandie. J’étais, bien sûr, très fier. J’en fais un article dans la revue du GONm (Le Cormoran, 1970, 1(3), 102-105). Je découvre ensuite d’autres nids dans le département de la Manche comme celui de Gréville, de Flamanville, de Granville (qui n’a été fréquenté qu’une saison), et de Carolles.
Pour la mise en réserve du Nez-de-Jobourg, c’est une histoire que j’ai déjà racontée à Claire et Gérard et qui figure dans le rapport pour le 50° anniversaire de la réserve, puisqu’elle fut créée en 1965. En suivant le lien ci-dessous vous pourrez lire cette histoire pages 45 à 48 du N° 6 de RRN publié sur le site du GONm : https://www.gonm.org/index.php?post/R%C ... andie-2015
En 1968, je pose une clôture et des panneaux d’information avec Christian Arlot, ornithologue originaire du Poitou, résidant à Beaumont-Hague et qui travaillait dans l’usine de retraitement de Jobourg. Christian était sportif n’avait pas peur de l’escalade dans les falaises aussi en 1968, pitonnant la falaise et encordé comme un alpiniste que j’assurais, il a bagué les poussins dans le nid du grand corbeau.
En 1970, je récupère un jeune grand corbeau qui était tombé du nid à Carolles et, alors étudiant à Maisons-Alfort, je l’ai emmené avec moi pour l’élever, avec succès. Il était connu de toute l’école, personnel, étudiants et professeurs inclus puisque, une fois emplumé, il se déplaçait librement dans tout le campus universitaire, revenant dans la journée et le soir dans ma chambre dont la fenêtre restait ouverte. J’ai passé ma thèse vétérinaire en 1970 : « Les oiseaux de la réserve ornithologique du Nez de Jobourg ». C’était une des premières thèses en écologie. Une médaille d’argent lui a d’ailleurs été décernée.
Une fois vétérinaire, toujours passionné par les oiseaux et par le volet paramédical de la profession, en 1972, je pars en tant que VSNA (Volontaire au Service National Actif) en coopération technique en Ethiopie, pays africain réputé exceptionnel pour les oiseaux. J'y exerce, en brousse les deux ans réglementaires ; à l’issue de cette période, je rentre en France, et en 1978 je retourne en Ethiopie où je reste jusqu’en 1989, tenu par des fonctions d’enseignement vétérinaire. J’ai enseigné notamment, l’anatomie des oiseaux, l’embryologie et la pathologie aviaire ! Vous me connaissez tous pieds nus avec mes tongs, mais contrairement à ce que vous pourriez croire, en Ethiopie, je ne portais pas de tongs, parce que les épines y sont agressives ; j’avais des pataugas. Par contre il ne fallait pas refuser ce qu’on vous offrait en particulier lors de partage de repas avec les chefs de village en brousse et j’ai ainsi dû consommer les mets de choix que sont la viande de bœuf crue, le foie cru de chèvre, la panse crue de bovin… c’est un peu sucré et relativement bon ! Plusieurs normands me connaissent aussi pour avoir gobé des œufs (de goéland autrefois, par exemple), crus aussi bien sûr !
Je peux raconter une belle anecdote éthiopienne : En 1973 j’avais découvert une colonie de marabouts d’Afrique, installée au sommet de la canopée d’une forêt d’acacias avec une belle vue sur un lac. Cette colonie, qui était située à 8 km de l’hôtel où je résidais, comprenait au moins 300 nids occupés (L’oiseau et la R.F.O. : 1976 ; 46 (2) p178-181). J’avais aménagé le tronc de l’un de ces arbres, ce qui me permettait de grimper au sommet, de voir toute la colonie et d’accéder à au moins deux nids. Un jour en avril 1974, je rencontre un européen âgé (âgé pour moi qui n’avais alors pas 29 ans !) qui était de passage dans l’hôtel où je résidais. Il était accompagné de deux guides éthiopiens. Voyant que ce monsieur s’intéressait aux oiseaux, je lui propose d’aller voir la colonie de marabouts. Il me donne son accord, nous partons. Mais, Monsieur Roger T. Peterson, car c’était lui, arrivé au pied de l’acacia dont j’avais aménagé le tronc, n’a pas pu monter au nid comme je l’invitais à faire car, ses deux gardes, prétextant des raisons de sécurité, ne l’ont pas voulu. C’est vrai que R.T. Peterson, né en 1908, avait alors 66 ans, et souffrait d’un peu d’arthrose. J’ai d’ailleurs une photo souvenir de sa venue.
Dans le cadre de mon séjour en Ethiopie, j’ai eu, lors de passages en France, l’occasion de rencontrer les naturalistes-ornithologues du muséum d’histoire naturelle de Paris, notamment Etchecopar, Nicolau-Guillaumet, Dorst et Delacourt. J’ai eu aussi, en août 1965, le plaisir d’aider l’agronome-naturaliste de Friardel (près d’Orbec), Roger Brun, dans la construction de son musée destiné à recevoir ses collections de spécimens naturalisés.
En Ethiopie, j’ai aussi observé des gypaètes barbus et des aigles bateleurs. Ces grands rapaces fascinants à observer car, contrairement aux vautours et aigles qui profitent des ascendances thermiques qu’ils rejoignent en battant des ailes, pour s’élever haut et disparaitre, ils volent et parcourent de grandes distances à une faible ou moyenne hauteur, sans battre des ailes au ras des falaises profitant des courants de pente ou des variations aérologiques engendrées par la végétation.
Le Sénégal, où, après l’Ethiopie, j’ai enseigné pendant 4 ans, a été aussi l’occasion de découvrir une avifaune à la fois proche de la nôtre normande avec des migrateurs maritimes et particulière car purement africaine.
Au cours d’un voyage en Mongolie, j’ai aussi, observé un nid d’aigle royal occupé qui hébergeait un poussin. J’étais saisi par le contraste qui existe entre la puissance et le symbole que représente ce grand aigle et par la vulnérabilité de son poussin.
En France, j’ai retrouvé ce même plaisir africain de l’observation de grands oiseaux en quantité au lac du Der (région de Vitry-Le-François) avec les grues cendrées. Aussi avec les vols de groupe agrémentés d’arabesques parfois inexplicables comme les vols d’étourneaux que nous connaissons si bien en Normandie. Toujours cette maîtrise de l’espace et de l’air qui conduit à l’indépendance et qui me fascine !
Mes oiseaux préférés, vont vers les plus gros des genres de la classification. Par leur taille, ils sont plus faciles à observer et plus majestueux : corvidés (donc le grand corbeau, intelligent, sauvage et bon voilier et le corbeau corassé, géant des corvidés, endémique en Ethiopie et pour lequel j’ai décrit pour la première fois la reproduction et les œufs (l’oiseau et la R.F.O. 1976 ; 46 (1) p 73-75)) ; apodidés (donc le martinet à ventre blanc, grand communiant avec le milieu aérien), laridés (donc le goéland marin) ; gruidés (donc la grue cendrée) ; anatidés (donc le cygne tuberculé) ; ardéidés (donc la grande aigrette) ; procellariidés (donc l’albatros hurleur) ; etc.
Voilà ce que m’a confié Jacques, personnage déroutant, atypique et attachant. Il a été un précurseur et avec peu de moyens mais une belle et vraie passion, il a su protéger Jobourg, le site de son enfance auquel il est très attaché et dont il a confié la gestion au GONm.