MÉMOIRE DU GONm : les interviews du 50° anniversaire

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DEBOUT Claire
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29 - Mémoires du GONm ; interview du 50° anniversaire : Thierry Lefèvre

Message par DEBOUT Claire »

Thierry à Saint-Martin Don, avril 2022- Photo Gérard Debout
Thierry à Saint-Martin Don, avril 2022- Photo Gérard Debout
Thierry Lefèvre- 2022.jpeg (138.38 Kio) Vu 4825 fois

A l’origine :

Né en 1964 à Villedieu-les-Poêles, j’ai passé mon enfance et mon adolescence à Saint-Sever-Calvados. Avec ma famille, nous habitions dans le bourg mais la forêt domaniale était toute proche. Aussi, les balades dans ce massif forestier ont été nombreuses quand ce n’étaient pas les parties de luges ou plutôt de sacs à engrais remplis de paille ou de foin, avec mon frère et les copains. Mais à cette époque, il était fréquent que l’hiver soit ici ponctué de quelques semaines de neige …

Enfant, j’attrapais les poussins de la ferme de mes grands-parents et ma grand-mère maternelle prenait soin de bien fermer la basse-cour à chaque fois que nous venions ! A cette période, je possédais une fronde et tirait sur les oiseaux et notamment sur les multiples moineaux. Un jour, il se trouve qu’un rouge-gorge a fini d’agoniser dans le creux de ma main. Et cela a été pour moi le déclic : « A travers son regard, j’ai eu l’impression que ce passereau me demandait pour quelle raison m’avez-vous ôté la vie ? ».

Et depuis, j’essaie de rattraper mes fautes en agissant en faveur de la protection de la nature…

Jeunesse :

Collégien jusqu’en cinquième à St-Sever, je poursuis mon enseignement au lycée-collège Pierre et Marie Curie de Vire. De retour le soir dans ma chambre et à mon bureau, je ne manquais pas de jeter un coup d’œil à la mangeoire idéalement placé dans le jardin : mésanges, pinsons des arbres et du Nord, moineaux et autres volatiles se chamaillaient les quelques graines. Toutes mes observations étaient déjà consignées dans un cahier.

Dans la bibliothèque, une encyclopédie sur la faune était en bonne place à côté des magazines traitant de l’actualité footballistique. Sensibilisé, dès l’âge de 19 ans, j’adhère au WWF France et m’abonne à sa revue trimestrielle « Panda ». Puis rapidement je m’intéresse essentiellement aux rapaces et devient en 1985 membre actif du Fonds d’Intervention pour les Rapaces. Je distribue alors sur les marchés des dépliants présentant les rapaces, leur utilité et le FIR. Je fabrique et pose mes premiers nichoirs à chouettes ; le premier, destiné à la chouette effraie, dans une grange le 14 septembre 1986. Peu de temps après, dans cette même grange, je surprenais ma première chouette chevêche en repos diurne sur une poutre ! Je vais jusqu’en Franche-Comté localiser et surveiller les nichées de busards avec le FIR section Monts-Jura/Alpes du Nord.

Premiers contacts avec le GONm :

Le baccalauréat en poche, je suis admis à l’Institut Universitaire de Technologie de Tours, département « Biologie Appliquée » - Option « Génie de l’Environnement ». Les études se terminaient par un stage de trois mois. Sur le mur où étaient affichées toutes les offres de stage, il y en avait plusieurs émanant du Groupe Ornithologique Normand. Le sujet qui a eu alors ma préférence était celui du Tadorne de Belon en Baie d’Orne. Je rencontre alors Gérard Debout et Bruno Lang qui me présentent le site, les objectifs du stage et le logement dans la Maison de la Nature de Sallenelles mis à disposition gratuitement par le Syndicat Mixte d’Aménagement de la Base Littorale de Nature et Loisirs de l’Estuaire de l’Orne. D’ailleurs, ce retour sur l’année 1986 a été l’occasion de me repencher dans mon rapport de stage qui avait été frappé à la machine à écrire (!) par Jocelyn Desmares et de constater qu’une bonne partie des mesures de protection préconisées dans ce document ont vu le jour.

Dans la foulée, je prends ma carte au GONm…puis le relais de François Leboulenger pour la rédaction des chroniques ornithologiques du groupe L « cuculidés-colombidés-strigidés-tytonidés ».

Située à deux pas de chez moi, je participe aux premiers travaux d’entretien de la Réserve ornithologique du Lac de la Dathée où je fais la connaissance de Jean Collette qui m’initiera à la reconnaissance des oiseaux à travers leurs chants.
Je me souviens bien de ces chantiers hivernaux entrecoupés d’un bon pot-au-feu pris dans une ambiance conviviale au restaurant de Saint-Manvieu-Bocage !

Les débuts de la réserve du Gast :

En 1987, j’assiste à la mise en eau de la retenue de la Sienne située entre la Forêt de Saint-Sever et les Bois du Gast, barrage-réservoir d’eau potable et de soutien d’étiage. Ce lac de 65 ha a été très vite colonisé par les oiseaux. En effet, la moitié des 81 espèces d’oiseaux d’eau recensées jusqu’à aujourd’hui a d’ailleurs été notée pour la première fois les deux premières années. Que de beaux souvenirs lorsque muni d’un petit télescope en guise de longue-vue, j’admire, malgré la pluie, ma première famille de grèbe castagneux – aux couleurs chatoyantes - se faufilant entre les souches des arbres abattus et que Jean avait réussi à faire conserver !
Au vu des capacités d’accueil pour l’avifaune sédentaire et migratrice, nous entamons avec Jean les démarches pour la création d’une réserve ornithologique sur ce site et notre association GONm est invitée aux réunions du Conseil d’administration de l’Entente Interdépartementale du Centre du Bocage Normand, propriétaire du barrage et de sa retenue attenante.
Les choses vont aller très vite. Au printemps 1988, les présidents des associations locales de pêche, Messieurs Matillon pour la Gaule sourdine et Laporte pour la Gaule séverine, acceptent la création d’une réserve ornithologique dont les limites font l’objet d’un accord entre les deux présidents et Jean Collette, alors administrateur du GONm : 1,3 km de rives de tranquillité dans la queue secondaire. La convention de gestion est signée entre le Président du Comité de Gestion Piscicole, Matillon et le Président du GONm, Gérard Debout, le 2 août 1988.
Nous aimerions que cela soit aussi rapide ailleurs …
Depuis, les relations ont toujours été très constructives que ce soit avec les Présidents de l’A.A.P.P.M.A. du Bassin de la Sienne qui ont succédé à M. MATILLON, MM. LE BLANC et DELAMARCHE, ou avec les Présidents successifs de l’Entente devenue Institution Interdépartementale du Bassin de la Sienne, MM. BOUGOURD, GOUJON, SESBOUE, LABARRIERE, GUILLOU, Mme NOUVEL … sans oublier le secrétaire de l’IIBS, M. VENRIES.

Les hivers froids m’ont permis de cocher tous les canards de surface et de plongée que nous pouvons observer en Normandie. Au printemps et en été, avec d’autres collègues du GONm, je suis la nidification. En 1990, lors de la réunion du 21 mars du Conseil départemental de la chasse et de la Faune sauvage, il avait été convenu que les réserves ornithologiques des Lacs de la Dathée et du Gast feraient l’objet d’un suivi soutenu de la nidification. Ce suivi avait été mené en parallèle entre des membres de la Fédération de Chasse du Calvados et des adhérents du GONm (Philippe Ollivier, Stéphane Lecocq et moi-même). Résultat commun : pour l’ensemble des nichées (43), 100% des nichées d’oiseaux classés gibier d’eau ne volaient qu’au 25 août !


Dans les années 1990, avec Stéphane Lecocq, nouveau conservateur de la Réserve ornithologique du Lac de la Dathée, nous avons régulièrement organisé des animations grand public à l’automne et en hiver, période la plus favorable pour l’observation des oiseaux sur les deux plans d’eau. Les sorties avaient en général lieu un dimanche matin par mois et le public était convié à 9 h en queue de la Dathée. Après une heure et demie d’observations et d’apprentissage de reconnaissance des oiseaux sur ce site, nous poursuivons la matinée sur le site du Gast. De ces animations, une anecdote est à relever : lors de l’hiver 1990/1991, plus précisément le 3 février, l’arrivée de notre groupe à la Dathée avait fait envoler deux mâles de harle bièvre que nous retrouvions deux heures plus tard sur le site du Gast. Ceci venait confirmer les échanges réguliers, que nous soupçonnions, entre les deux réserves, distantes seulement de 7 km à vol d’oiseau.

Observatoires, des constructions longues :

Au Gast, le chantier le plus important entrepris reste sans nul doute la construction de l’observatoire scientifique réservé aux membres qui effectuent les comptages.
L’implantation de cet observatoire ne pouvait se faire que sur un secteur proche du cœur de la réserve et devait permettre une observation aisée de la plus grande partie du lac. L’emplacement a été retenu en fonction de ces critères et en étroite collaboration avec M. Pellerin qui a bien voulu concéder au GONm une petite partie des terrains lui appartenant.
Après plus d’un an de démarches administratives pour obtenir le permis de construire, accordé au final par le Préfet de Région, le chantier ouvre officiellement le 5 novembre 1996. Douze bénévoles du GONm se relaieront le week-end et parfois en semaine, et pendant deux ans, pour construire ce poste d’observation de 14 m2 de surface et de 3,80 m de haut : Bruno CHEVALIER, Jacques COQUUNOT, Pascal CRUET, Sylvain HAMEL, Stéphane LECOCQ, Claude LEFEVRE, Stéphane LETESSIER, François et Odile MARCHALOT, Frédéric NOEL, Denis VALLEE et moi-même.
Hormis les gros poteaux en bois servant d’assises et les planches de bardage amenés par M. Jeanvoine, garde-particulier de M. Pellerin, à travers les bois et par engin motorisé jusqu’au site d’implantation, tous les autres matériaux ont été transportés à dos d’homme ou en brouette sur 240 m via un sentier très étroit ! Parmi tous les bénévoles, c’est certainement Claude LEFEVRE, mon père, qui a consacré le plus d’heures à cette réalisation. C’est même lui qui a trouvé le tailleur de pierre à qui nous avons fait appel pour diviser un gros bloc de granite situé au niveau de la fosse d’un des piliers …
Nouvelle anecdote à faire partager : un dimanche matin, par temps humide et de brouillard, nous arrivons sur le site alors que toutes les fosses avaient déjà été creusées à la main. La pluie des jours précédents avaient plus ou moins rempli les fonds et des amphibiens s’étaient alors trouvés piégés. Nous avons donc commencé la journée par libérer crapauds communs, grenouilles rousses et salamandres tachetées. Ce piégeage bien involontaire de notre part nous offrait un premier aperçu de la faune batrachologique du lieu. Depuis, quatre nouvelles espèces ont été identifiées.

Au début des années 2000, deux fenêtres d’observation ont complété cet équipement en rive gauche. Elles sont en permanence ouvertes au public et ont été installées sur les terrains de Monsieur Pellerin, propriétaire riverain qui a tant fait pour le développement et le rayonnement de la réserve.
Et au début des années 2010, l’IIBS installe, avec nos conseils, en rive droite et en limite de la forêt un observatoire destiné au public. Ce poste sera couplé d’un grand panneau d’information et ce dans le cadre du programme de valorisation écologique, pédagogique et éco-touristique du site du Barrage-Réservoir du Gast lancé par l’IIBS (Institution interdépartementale du bassin de la Sienne) en 2009.

Réserve du Montanglier – Saint-Martin-Don :

Dans le Bocage virois, une 3ème réserve ornaise a vu le jour en 1993, grâce à la bonne volonté de Jan et Anne-Marie Van Torhoudt. La convention de gestion a été signée entre ces propriétaires et le GONm le 6 octobre et concerne un ensemble de 11 hectares de bois et de prés, situés au lieu-dit Le Montanglier sur la commune historique de Saint-Martin-Don.
Cette réserve est riche en fauvettes, pouillots, roitelets, pics (4 espèces) mais aussi en amphibiens et reptiles : Alyte accoucheur, grenouilles rousse et verte, salamandre tachetée, tritons alpestre, crêté, marbré et palmé (soit 5 urodèles sur les 6 que l’on peut rencontrer en Normandie !), couleuvre à collier, lézard vivipare et vipère péliade.
Nous pouvons y croiser les principaux mammifères communs de Normandie : blaireau, chevreuil, écureuil roux, fouine, lièvre commun, renard roux, sanglier… D’ailleurs, le Groupe Mammalogique Normand (François Marchalot) y a posé 11 gîtes à chiroptères contre des troncs pour des espèces plutôt forestières : barbastelle d’Europe, murin de Bechstein et oreillard roux.
45 espèces d’oiseaux y ont déjà été observées, les cavernicoles ayant à disposition 11 nichoirs dont 4 pour les chouettes. De plus, les arbres secs sur pied ainsi que les vieux arbres tombés lors des tempêtes sont laissés sur place et font le bonheur des champignons et des insectes qui les recyclent en humus.
Ce site est enfin un lieu d’animations, notamment au moment du retour des migrateurs : une visite est organisée chaque printemps en collaboration avec l’Association Touristique des Vallées de la Vire et de la Souleuvre. Une boucle ornithologique jalonnée de pancartes directionnelles et de panneaux d’information y a d’ailleurs été aménagée.

Les nocturnes, ma passion :

Enfin, je ne pouvais pas terminer ce témoignage sans évoquer de façon plus détaillée ma grande passion pour les oiseaux de la nuit.
Tout d’abord un peu d’historique en rappelant ce qu’a été la « Centrale nocturne ». En 1986, Hugues Baudvin et ses collaborateurs de La Choue (association bourguignonne d’étude et de protection des rapaces nocturnes) lance cette idée. Cette centrale avait l’ambition de rassembler le maximum d’informations sur les personnes qui étudient, protègent ou possèdent des données fragmentaires sur les rapaces nocturnes en France. Elle voulait être un moyen d’échanger des expériences, des adresses et de multiples renseignements. Sans avoir créé une structure supplémentaire, ces fondateurs ont proposé un coordinateur par espèce pour faciliter le fonctionnement. Ce coordinateur synthétisait pour chaque espèce les informations recueillies à l’aide d’une fiche élaborée à cet effet et de restituer ces informations sous forme d’un bulletin annuel. L’idée est relayée par l’Union Nationale des Associations Ornithologiques (UNAO) et parvient ainsi jusqu’au GONm. Dans la foulée, le Conseil d’Administration me désigne en juin 1987 comme le Coordinateur Rapaces Nocturnes au sein de notre association : à charge pour moi d’envoyer à fin de chaque année les données pour notre région.
Le premier bulletin paraît en 1988 et rassemble les données de 1987. Cette synthèse a été rédigée par Hugues Bauvin pour la chouette hulotte, la chouette de Tengmalm, le grand-duc, le moyen-duc, le petit-duc et le hibou des marais, par Jean-Claude Génot pour la chouette chevêche, et par Yves Muller pour la chouette effraie.
La diffusion du rapport sur les actions de la Centrale Nocturne est reprise par le FIR en 1991 mais, cette centrale s’arrêtera de fonctionner en 1996 avec la dissolution du FIR devenu Mission Rapaces de la Ligue pour la Protection des Oiseaux.
Mais ce n’est pas pour autant que les activités d’étude et de protection des rapaces nocturnes au sein de notre association se sont interrompues, bien au contraire : étude et protection de la chouette hulotte en forêt domaniale de Saint-Sever-Calvados à partir de 1988 (avec la participation de Christel, mon épouse), étude et protection de la chouette chevêche dans le Domfrontais dès 1989, avec le Parc Naturel Régional Normandie-Maine, lancement en 1992 par le GONm et Jean-Michel Henry d’une opération de parrainage pour la pose de nichoirs à chevêche (pour 100 F versés, les donateurs reçoivent les résultats du suivi de leur nichoir pendant 3 ans et c’est ainsi que 350 nichoirs seront posés dans toute la Normandie), étude et protection de la chevêche sur le plateau du Neubourg et sous la houlette de Claude Ingouf, de la chevêche, de l’effraie et de la hulotte dans la Vallée de l’Avre par Jean-Claude Bertrand et son fils Frédéric, fabrication et expédition de nichoirs à effraie en kit dans toute la Normandie par Gilbert Homo à la fin des années 1990 et au début des années 2000, avec l’aide de mon fils Raphaël, programme Suivi Ponctuel des Oiseaux Locaux Effraie des clochers en Normandie de 2010 à 2019 (680 chouettes effraies baguées dont 656 jeunes et 24 adultes par James Jean-Baptiste, David Vigour et Alain Chartier) ...

Dans le Domfontais et le Mortainais, le programme avec le PNR n’a pas connu un grand succès. Sur les 60 nichoirs posés, seulement 2 ont été utilisés temporairement mais ont toutefois servi à la reproduction d’autres espèces cavernicoles : étourneau sansonnet, mésange charbonnière, rougequeue à front blanc, sittelle torchepot, pics…Je me souviens de la pose des premiers nichoirs que mon ami Michel Noel avait fabriqué et posé chez des propriétaires de vergers qu’il a fallu convaincre au préalable ; des prospections nocturnes, toujours avec Michel ; des journées à obturer, à l’aide d’une perche télescopique, les sommets des poteaux téléphoniques métalliques et qui avaient été parfois recyclés en piquets de clôture augmentant d’autant le travail (Sylvain, le fils de Michel, était parfois de la partie…en poussette). Près de 1 000 de ces pièges mortels ont ainsi pu être neutralisés sur ce secteur et plus de 50 000 dans toute la Normandie, rien que par les bénévoles de notre association !

La chevêche :

Le dénombrement des mâles chanteurs au printemps, sur 5 100 hectares, a permis de suivre la régression de la petite chouette aux yeux d’or au fur et à mesure que le système fourrager basé sur le maïs-ensilage progressait : 15 mâles en 1989, 9 en 1992, 3 en 1997, 0 en 2000, soit une perte annuelle d’environ 13% de l’effectif compté en 1989, et la disparition de l’espèce en une décennie...

Mais l’espoir est permis pour ce petit rapace nocturne d’origine méditerranéenne qui semble revenir un peu partout, peut-être à la faveur des modifications climatiques…et nous pouvons de nouveau admirer cet oiseau dans le Domfrontais comme lors de la sortie nocturne grand public organisée le 18 juin 1994 au cours de laquelle la petite chouette, répondant à la repasse, vint se percher sur un piquet de clôture à quelques pas devant nous, faisant la joie des personnes présentes.

Les clochers en Seine-Maritime :

A noter que ces activités se sont aussi récemment essaimées jusqu’en Seine-Maritime, département peu pourvu en nichoirs et peu concerné par les actions de protection des nocturnes (seulement une lettre circulaire adressée en 1987 par le GONm à tous les maires de ce département pour éviter l’engrillagement des clochers). Ainsi, début 2016, François-Xavier Plaisant me contacte et se propose de prendre part au Programme d’Etude et de Protection de l’Effraie des Clochers en l’étendant au Petit Caux, territoire touchant le département de la Somme.
Cela faisait déjà quelques années que notre collègue, passionné par ce rapace nocturne, prospectait, prenait des contacts avec des mairies, des particuliers…mais peu de réalisations concrètes. Aussi une nouvelle affiche intitulée « A la recherche de l’Effraie », avec cette fois le logo de notre association, est réalisée. Un courrier à l’entête du GONm, accompagné d’un questionnaire, est adressé à plusieurs communes. Résultat : quelques municipalités se montrent intéressées. Dès lors, le processus peut être enclenché : la première demande officielle d’autorisation de la pose d’un nichoir part le 3 septembre 2016, elle sera suivie d’autres jusqu’au printemps 2017.
Il faudra ensuite attendre les réunions des conseils municipaux, leurs délibérations et la réception des autorisations qui s’échelonnera jusqu’à la fin de l’été 2017.
Durant l’hiver 2017/2018, je consacrai quelques journées à confectionner 10 nichoirs et au printemps 2018, précisément durant le week-end de Pâques, je pris la route en direction du Pays de Caux avec une remorque chargée des nichoirs et deux échelles solidement attachées sur les barres de toit de la voiture. Après un parcours de 260 km, j’arrive au premier point de rendez-vous fixé au pied d’une église, et les poses s’enchaîneront jusqu’au dimanche après-midi avec l’aide du beau-fils de François-Xavier, Estéban, et de deux autres membres, Frédéric Garcia et Vincent Poirier.

Encadrée par François-Xavier, une petite équipe a ainsi pu se constituer localement, rejoint depuis par Michel Goffettre qui est devenu le spécialiste de la fabrication des nichoirs. Plus de 60 nichoirs supplémentaires et des piquets d’affût ont été posés et destinés également à la chouette chevêche et au faucon crécerelle, en partenariat avec des communautés d’agglomération ou de communes, des communes, des syndicats de bassin versant, des exploitants agricoles, des agriculteurs biologiques, des particuliers…3 nichoirs virent l’envol de 15 jeunes chouettes effraies dès l’année suivante, en 2019, et depuis le taux d’occupation progresse.
Je ne manquerai pas de revenir un jour pour constater sur le terrain les actions et les efforts entrepris par cette équipe pour la sauvegarde des rapaces.


L’activité de « chouettologue » est exigeante en temps, en déplacements, en finances (même si la petite quincaillerie et une partie du bois sont pris en charge par notre association) mais aussi très contraignante et physique voire dangereuse : démarches auprès des propriétaires de sites potentiels, fabrication des abris artificiels, visites de contrôle en soirée et de nuit, portage des échelles, installation au bout d’une échelle et parfois entre 6 et 7 m de hauteur (pour le chat-huant !), accès via les vieux et étroits escaliers des clochers, nettoyage de l’intérieur des boîtes, entretien des nichoirs et de leurs fixations, neutralisation des pièges comme les poteaux PTT ou les auges galvanisées ou en plastique, participation à la plantation de haies anticollision ou d’arbres fruitiers hautes tiges, étêtage de saules ou d’autres essences…

Mais quel bonheur de tomber sur quatre boules de duvet lorsque vous ouvrez la trappe de visite !
Claire DEBOUT
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DEBOUT Claire
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30 - Mémoires du GONm ; interview du 50° anniversaire : Bruno Lang

Message par DEBOUT Claire »

Bruno lang.jpg
Interview recueillie par Jean-Marc Savigny le 4 avril 2022.

Je ne suis pas normand. J’ai suivi les affectations de mon père, prof de lettre ayant été nommé dans l’académie de Caen. Je suis arrivé en Normandie en 1961. J’ai des souvenirs anciens de mon intérêt pour les animaux en général, j’étais abonné à « La vie des bêtes » une revue pas forcément pour les enfants, ce qui m’avait permis de faire entendre à la maîtresse de CE2 que oui, il pouvait y avoir une bataille entre un tigre et un lion en Asie ! Non mais des fois !
Ma marraine m’a offert mes premières jumelles à la « petite communion » vers mes 10 ans. Je me suis intéressé aux oiseaux dès ce moment. Habitant à Caen j’observais surtout en vacances chez ma grand-mère à Houlgate et à Echassières dans l’Allier, autour des maisons familiales.
Mon père s’intéressait peu à la nature mais du côté de ma mère, certaines espèces étaient bien identifiées comme le bouvreuil, les pinsons, le rossignol des murailles (rougequeue à front blanc) comme l’appelait ma grand-mère ou encore la huppe. A Houlgate j’accompagnais souvent mon père à la librairie et j’avais repéré un livre. « Tu vas dépenser tes 30 F et si ça se trouve dans six mois tu ne t’y intéresseras plus » avait dit mon père. Grosse erreur d’appréciation, il s’agissait du Peterson !
Un autre souvenir à la Haie Vigné près de la rue Caponière où j’accompagnais un voisin issu de la campagne à la recherche de nids comme celui d’accenteurs. On rentrait dans les jardins des mamies du coin à 10-12 ans. Après j’allais à la prairie, sans la mare à l’époque et plus tondue.
Un autre souvenir de voyage en Allemagne lors d’un échange scolaire où je découvrais sidéré les vanneaux sur une île d’un lac et où les jumelles prêtées par la famille d’accueil avaient fini à l’eau… puis récupérées. À la Haie Vigné, j’avais une petite longue vue et j’observais les nids de chardonnerets.

Autre souvenir à Plön en Allemagne pour reconnaître un oiseau bizarre qui n’était pas dans le Peterson mais dans le Heinzel : un immature d’Eider.
Le temps passe, après mon Bac je fais une année de math Sup mais je ne veux pas devenir ingénieur, je rentre en Fac de Bio en 1969 où je découvrais que la plupart des collègues n’étaient pas du tout naturalistes. Dans la bibliothèque de Zoologie, entre quelques oiseaux empaillés, je tombe sur les premiers numéros du cormoran, (premiers volumes en 68) revue antérieure à la création du GONm. 1968 et 1972 respectivement. J’épluche les articles sur les oiseaux dans les bulletins des sociétés savantes. J’ai Michel Saussey comme prof de zoologie (insectes, Taupe,) mais qui ne fait pas étalage en cours de son goût pour les oiseaux. C’est Chantal (Chantal Kapps, son épouse NDLR) qui demande à Saussey où trouver les contacts des ornithos. Je rencontre alors Bernard Braillon, digne professeur de chimie quelque peu malmené par les étudiants de mai 1968 et qui gardait les graffitis les plus … créatifs à son sujet. Je suis allé frapper à sa porte. À l’époque, Braillon faisait tout dans son bureau.
Je suis alors nouvellement motorisé (2 CV) et les découvertes commencent. En 1974 l’Atlas Yeatman se termine et je me souviens de l’AG de 1974, il y avait 30/40 personnes, un peu comme maintenant. Un gars, Jean Collette, m’aborde au sujet du nid d’alouette des champs que je viens de trouver … première au fichier apparemment. En 1975, sortie concertée pour compter les fulmar dans le Bessin avec Cruon, Bernier ; une quinzaine de participants venus jusque de Paris. C’était la première sortie du genre organisée par Bernard Braillon.
En 1975 pour l’Atlas Yeatman, BBr avait sorti des cartes intermédiaires comme pour le pic mar connu à Balleroy mais avec la repasse je trouve du pic mar dans la plupart des petits bois (Grimbosq, Bavent etc.). Je me souviens avoir gagné quelques galons auprès de BBr avec un nid (pas trouvé) de babillarde dans un énorme roncier sur une ligne de chemin de fer près de Caen. En revenant sur un pommier (tout pourri) je lui indique un nid de grimpereau des jardins dont BBr avait bagué les poussins.

Je passe le Capes et décide de consacrer une année au concours de l’Agreg mais cela s’est terminé en une année consacrée aux oiseaux. À l’époque avec Chantal il m’avait fallu plusieurs allers retours pour trouver les sites favorables de la Baie des Veys. L’essence n’était pas chère, on partait dans l’Orne …
À cette époque, je propose une réunion des adhérents de Caen à la Fac mais je suis nommé dans le Nord pour une année et donc c’est Chantal et Gérard ou Benoît Bizet qui ont mené les réunions.

On finit par avoir un local dans le musée de la nature avec Jocelyn Desmares comme objecteur de conscience. J’aidais BBR dans son bureau pour le cormoran avec sa machine électrique. Il me donnait des textes à taper.
Il y avait des stages… je suis allé en BDMSM avec Loison, en baie des Veys, Tombelaine. Des stages qui étaient fixés. J’ai proposé vers 77 d’aller dans des coins peu prospectés à la Pentecôte. On a fait une première à Argentan… c’est dans le Cormoran spécial 25 ans.
ça s’est terminé je ne sais plus quand mais j’étais le seul avec ma tente … le camping ça va un moment.
Ça manque un peu ces confrontations sur le terrain. Je suis rentré dans le CA…
Braillon nous avait obligés, Gérard et moi à écrire une synthèse de nos observations avec André Leflamand qui observait à la BDV et que l’on avait croisé sur le terrain par hasard.
J’ai fait des articles de synthèses d’après les données collectées et des articles sur ce que j’avais fait comme sur les premières nidifications de fulmars et tridactyles avec BBR.

Je suis rentré au CA en 76 comme délégué du Calvados et en 86, BBR nous a réuni GDe et moi pour envisager sa succession ; GDe a pris le poste de président et moi de secrétaire. BBr pensait d’ailleurs que mon sens de la diplomatie était un peu trop limité pour les contacts avec les institutions. Benoit Bizet était trésorier.

Les gens qui m’ont formé sont BBr, Gaston Moreau … j’ai eu une longue période de recherche de nids avant d’arrêter, ma vue n’est pas formidable et ça prend du temps. Saussey m’a conseillé à la fin de sa vie de persévérer dans le Cormoran, Saussey que je considérais comme un père spirituel, le mien ne s’intéressant pas à ça.

L’idée des réserves s’est développé à cette époque avec l’embauche de salariés. L’enjeu financier était compliqué et pour ma part j’avais des doutes sur la professionnalisation. Mes vues étant divergentes, progressivement, j’ai quitté le CA après une dizaine d’années pour me recentrer sur la rédaction du Cormoran et sur la gestion de la base de donnée que j’ai numérisée avec nos premiers Mac … ça nous permet d’avoir toutes les données historiques ce que n’ont pas fait beaucoup d’associations. On a les données depuis le début. Le Cormoran s’est fait petit à petit, je tapais des articles à la machine à écrire avant de les coller sur des feuilles A3 sur table lumineuse pour aligner les figures, le texte… les graphiques étaient faits à l’encre de chine… le tout était ensuite réduit.

Quelques autres souvenirs marquants : la fauvette babillarde comme reconnaissance (cf au dessus), les sorties avec Moreau sur l’engoulevent, le moyen duc où les disques Roché avaient rafraichi la mémoire de GMo sur les cris de jeunes : Bon sang mais c’est bien sûr !
J’ai le souvenir d’un stage à Bayeux pour trouver les nids de mésange à moustache (panure pour les jeunes). Moreau trouve le nid mais hésite à y retourner le deuxième jour pour ne pas déranger le nid. Du coup je n’ai jamais vu le nid de mésange à moustache… petit regret.
Autre souvenir, les baguages avec Saussey à la prairie, les découvertes des nids de tridactyles, premiers poussins de fulmar.
Dans le genre, un peu pour aller à contre sens je voulais faire une rubrique « C’était mieux avant ? » : la grande aigrette je l’ai vue à la frontière austro hongroise, le pic noir dans les forêts près de Vienne, le cisticole dans le bassin d’Arcachon … l’aigrette garzette en Camargue, autant d’oiseaux qu’on a maintenant.
Autre souvenir dans les marais de Carentan avec Moreau, on avait trouvé dans la journée le nid de la barge à queue noire, un nid de sarcelle d‘été, un de sarcelle d’hiver et de pilet ou encore la découverte d’un nid de bécassine trouvé avec Gérard et Claire. On entend un bruit, c’était du chevrotement mais on ne la voyait pas. On se met à quatre, dos à dos pour essayer de déterminer la direction. En fait, elle tournait juste au-dessus de nous, très haut. On avance et une bécassine part l’air « foireux » … le nid était là, dans une touffe de jonc. Trouver les nids de vanneau aussi …
C’est une autre époque ; les jeunes aujourd’hui sont choqués par exemple de la technique de l’eau pour déterminer le stade de couvaison d’un œuf ! La biologie de la reproduction n’est plus très en vogue et c’est bien dommage. Il y a souvent plusieurs phases pour les ornithos d’abord les espèces, la coche… la reproduction vient après ou pas.
À l’usage, le dérangement si on connait bien l’espèce est minime. Beaucoup de gens qui observent à la prairie ne savent pas que les oiseaux nichent au sol par exemple.

Au début, comme tout le monde, j’ai commencé gamin par les oiseaux près de chez moi, ensuite, motorisé je suis allé vers la BDV etc. Ce qui m’a poussé dans l’intérieur des terres c’est une petite manip faite par mon frère sur la base qui indique le nombre d’espèces par commune. À partir de 2004 je me suis mis à boucher les trous en notant tout, tout le temps sous forme de relevés. L’idée est d’objectiver certains sentiments : tel secteur est-il plus ou moins riche qu’un d’autre ?
J’ai trouvé par exemple qu’il y a des points forts dans le pays de Caux comme les clos masures par exemple. Les zones « pauvres » étaient surtout des zones mal prospectées selon moi. Les listes complètes sont pour moi un protocole qui constitue une avancée.

Un de mes plaisirs d’ornithologue est de transmettre aux « jeunes » la reconnaissance des cris ou des chants par exemple. Je pense avoir formé pas mal d’oreilles.

Une conclusion
Le GONm a des atouts qu’il faut préserver : un réseau d’observateurs compétents relativement facile à mobiliser, une base de données avec une profondeur temporelle importante, une revue scientifique qui tient son rang au niveau national (elle est échangée avec une centaine d’autres revues), une équipe salariée compétente…
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31- Mémoires du GONm ; interview du 50°anniversaire : Jean-Paul Richter

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JP Richter 2019-Villafrea de la Reina2.jpg
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Depuis une bonne quinzaine d’années, JP Richter est adhérent du GONm. Il y a participé à différentes activités, de l’enquête Tendances au conseil d’administration. Nous lui avons posé quelques questions le 3 octobre dernier.

A l’occasion de ce 50ème anniversaire de l’existence du GONm, nous essayons de retracer le fil de l’histoire de l’association et si possible l’illustrer par quelques portraits d’adhérents qui ont participé à son écriture. Je voudrais donc te poser quelques questions à cet égard.

Ah ! l’histoire ! Cette évocation me remet en mémoire la définition de Norman Davies, professeur à Oxford. En 1996, il disait que l’histoire est un récit de faits, de mythes et de mensonges. Il y a quelques années, un membre de ma famille a sponsorisé un club de football bien connu, qu’il a relancé par, entre autres, une brochure retraçant sa glorieuse histoire. Les interviews d’anciens joueurs ou contributeurs se sont quasiment tous fracassés contre le mur de l’oubli – ils n’avaient plus rien à dire à part quelques souvenirs brumeux. Comme l’éditeur attendait, on – dont moi-même - a donc écrit une série d’entretiens fictifs dans lesquels tous les personnages interviewés ont été prêts à jurer qu’ils reflétaient la pure vérité – certains se sont mis à se souvenir des entretiens eux-mêmes. Il est vrai que le siège de l’intelligence du footballeur se situe plutôt au niveau du mollet. Mais continuons, je ferai de mon mieux. Et après tout, le mensonge n’existe plus, il n’y a plus que des post-vérités.

Par quel concours de circonstances es-tu donc devenu un adhérent actif du GONm ?

Je suis entré dans le domaine de la protection de la nature par la porte de la botanique – les plantes sont d’approche plus facile que les volatiles ou les insectes. C’est ainsi que je devins un membre, parfois bienfaiteur, et presque toujours actif, de plusieurs organisations, dont la plus ancienne est Kew Gardens à Richmond. J’ai participé à son redressement, lorsque Maggy Thatcher d’abord, puis Tony Blair, ont coupé tous les financements de cette institution qui administre les anciennes chasses royales, avec ses 30 000 végétaux, son centre de recherche, sa banque de graines, répartis sur 120 hectares. Le redressement fut difficile, mais bien réussi – aujourd’hui Kew reste un modèle et est toujours une référence des botanistes anglo-saxons.
Je suis aussi intervenu professionnellement chez Green Peace à Hambourg – c’était, dans les années 90 en Allemagne, la seule association environnementale gérée comme une véritable entreprise avec son marketing et son compte d’exploitation, d’où sa notoriété et son impact sur le public allemand – Green Peace-Allemagne, avec ses 90 millions de DM de trésorerie, était plus riche que bien des sociétés. Quand les véritables amateurs ont pris le manche, Green Peace s’est fait rejoindre par le peloton.

J’ai pris ma retraite il y a un certain temps déjà, après avoir opéré dans une douzaine de pays, et avoir habité en continu dans 5 d’entre eux, dans 3 continents. Avec mon épouse, nous nous sommes retirés dans la maison dont elle avait hérité dans le centre de Rouen. J’étais déjà membre de la SNPN depuis une trentaine d’années, je soutenais bien un ami Français qui avait monté une clinique soignant des animaux blessés. Mais je cherchais un ancrage environnemental associatif local. Dans un premier temps, je me suis tourné vers la LPO qui jouissait d’une certaine visibilité dans les media hauts-normands. Mais je découvris vite que leur présence à Rouen était en fait relativement ténue, pour toutes sortes de raisons. Le GONm, entité dont j’ignorais alors l’existence, était un sujet qui revenait régulièrement dans les conversations parfois curieuses des 6 ou 7 adhérents de cette LPO Normandie. J’ai donc contacté ce GONm dont on parlait ; le secrétariat m’aiguilla vers Frédéric Branswyck, représentant local. Nous avons rapidement trouvé le fit – l’homme était d’abord facile et tolérant envers l’amateur que je suis, et pendant plusieurs années nous avons fait des sorties communes, puis j’ai animé moi-même des sorties que je qualifie encore aujourd’hui de « botaniques à volet ornithologique ».

Pendant plusieurs années, j’ai collecté des observations pour deux circuits Tendances. Signes des temps, l’un des circuits a été précisément truffé d’œuvres d’art monumentales et est devenu la coqueluche des promeneurs / joggeurs / VTTistes pratiquement en H24. L’autre, circulant entre des espaces verts de la ville, s’est heurté aux restructurations des espaces verts, agrémentés de fermetures pour travaux dont on ne voyait pas la fin. J’ai donc plié mes gaules.
Mais un jour, dans les marais de Saint-Martin-de-Boscherville où nous traquions la bergeronnette des ruisseaux, Frédéric me proposa de devenir membre du CA.

Tu étais donc membre du CA du Gonm. Qu’as-tu retiré de cette expérience ?

J’étais un familier des conseils d’administration de sociétés, et de leurs administrateurs plus que bienveillants, parfois ignorants jusqu’à l’objet social de l’entreprise et inféodés à un président autocrate. Rien de tel au GONm, où les membres du CA étaient effectivement des gens du bâtiment, sachant de quoi ils parlaient quand il s’agissait d’oiseaux, mais aussi, parfois, parlant sans savoir de ce dont ils avaient juste entendu un écho.
Je découvrais qu’une des obsessions courantes du GONm était « La Comm ». A première vue, effectivement, les chiffres disponibles pointaient dans cette direction. Je me suis hasardé à faire une première proposition, à la suite de laquelle je me suis fait traiter de fachiste – un comble pour un vieux soixante-huitard copain d’Alain Geismar. Exit donc la comm façon organisme à relancer - mon métier de base.

Nouvelle tentative, cette fois-ci avec l’appui d’un comité ad hoc – prêt à écouter, peu à proposer – en France, on attend l’homme providentiel disait-on dans mon métier. Je concoctai donc une présentation qu’on écouta avec un intérêt poli. Façon normande, ce fut ni oui ni non – je me suis habitué depuis – et je me rendais progressivement compte que le plus efficace pour le GONm serait d’envoyer aux objets trouvés ce fantasme de La Comm. En effet, une bonne comm suppose une adhésion collective de fond de l’organisme aux revendications et aux messages déployés. On ne travaille pas chez Vuitton si l’on n’est pas un adepte du luxe et de la comm qui l’accompagne.
Or, le GONm est un assemblage d’individualités, d’observateurs passionnés, de protecteurs des espèces, avec une fibre à tendance scientifique. Structurellement éloignés des présupposés de la comm professionnelle donc. Faisons venir nos voisins et leurs copains, des gens comme nous, venez observer et collecter des données, venez protéger, et ne nous brusquez donc pas avec ce qui n’est pas compatible avec notre ADN, c’est là le message. Le cœur des adhérents du GONm est un groupe restreint et solide, il ne bougera pas, au milieu du papillonnement d’adhérents éphémères venus pour voir.

Mais au Conseil, il n’y a pas eu que cela. Les membres en étaient sympathiques les décisions furent prises. Le GONm vivra aussi longtemps qu’il y aura des oiseaux en Normandie – mais ne transformons pas ses adhérents en vendeurs ou en agents recruteurs. Et place aux jeunes !

Avec ma sortie du CA ont pris fin mes participations aux comité municipal chargé de l’environnement, aux commissions concernant les éoliennes ou l’hydrolyseur de Port-Jérôme – je présume que le successeur de Frédéric a dû faire le nécessaire pour en assurer la continuité.

On n’est vieux que lorsqu’on n’a plus de projets – ou que l’on a arrêté toute activité utile. Tu es toujours sur le pont, et un adhérent actif du GONm ?

En effet. La vie continue. Je suis toujours guide pour des monuments historiques, je suis encore médiateur du crédit et j’assiste des entreprises en devenir. Parallèlement, je suis un obsédé de l’éducation permanente – ah ! que n’ai-je 20 ans… Et je suis régulièrement à Caen, car je suis membre d’un jury de (soi-disant) spécialistes – en fait j’en suis le seul membre avec un passé non purement académique - qui distribue des subventions à des startups en train de prendre naissance dans les universités normandes.
Et il y a mon jardin, entièrement soustractif, qui me gratifie sur ses 345 m2 en pleine ville, d’environ 150+ espèces de phanérogames – dont ~30 visiteuses occasionnelles, merci les oiseaux - sans que je n’achète jamais une graine. Y habitent aussi Hector, mon hérisson, Amandine, ma belette, et une myriade d’insectes, dont lucanes et grands capricornes. Moins d’oiseaux cette année, pour une raison que je n’ai pas encore élucidée.

En ce qui concerne l’activité purement ornithologique, je continue les animations épisodiques du dimanche matin, et je lis avec passion le PC. J’observe dès que je peux, ma boîte à gants contient toujours une paire de jumelles – je rentre d’Angleterre où j’ai observé la première fois des milans aussi familiers que des goélands. Un de mes grands regrets est d’avoir été incapable d’intéresser mes filles à l’ornithologie, et plus généralement à la nature – encore que tout ne soit pas perdu car mes petits enfants de Berlin font montre de velléités vertes.

Mon épouse Odile et moi étions propriétaires de terres, y compris d’un marécage que j’ai acheté il y a fort longtemps pour empêcher (avec succès) sa transformation en « académie de tennis » avec son héliport. Il y avait aussi cette peupleraie, et ce mètre carré à Organbidexka que piétinaient les ivrognes chasseurs de palombes, terres dont j’ai perdu la trace. Nous avons fait don du reste – entre autres parce que nos filles qui résident en Allemagne et en Suisse, ont des préoccupations qui leurs sont propres.
En 2019, Odile a ainsi légué quelques hectares, à Fay dans l’Orne, au GONm. Gérard y a entendu – peut-être même vu ? – la fauvette babillarde… Odile est décédée en 2021, heureuse - comme moi - que la réserve soit administrée par le GONm, car…
… avec le GONm, les affaires des oiseaux sont effectivement en de bonnes mains, j’en suis sûr. Il faut que cela continue.
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32 - Mémoires du GONm ; Interview du 50° anniversaire : David Grémillet

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2022- au Groenland.
2022- au Groenland.
David Gremilet.png (513.78 Kio) Vu 4582 fois
David Grémillet est un chercheur du CNRS. Sa route a croisé celle du GONm au moment de sa thèse et la recroise depuis à l'occasion de diverses études.

Mes découvertes du milieu marin

Je suis plutôt un terrien puisque né dans l’Allier, je passais mes vacances chez ma grand-mère en Savoie près de Chambéry. C’est au lac d’Aiguebelette que j’ai appris à nager, à l’âge de cinq ans. J’ai découvert le fond argileux donnant cette eau turquoise dans laquelle les montagnes se reflétaient. J’ai posé mes pieds sur l’argile douce et me baignais dans l’eau tiède des mois d’août avec un masque me permettant de voir sous l’eau les bancs d’ablettes, j’étais ébloui et intrigué et je crois que c’est le point de départ de toute la suite …

A 7 ans avec mes économies j’achète un masque avec tuba et, en Espagne, j’ai joué avec un poulpe, j’étais fasciné ; c’était l’époque du commandant Cousteau qui faisait découvrir les océans, le milieu marin. Et à 9 ans, je commençais à lire beaucoup, nous n’avions pas de télévision et j’ai décidé que je serai océanographe, c’était une idée plutôt romantique et livresque.
Au collège je me rappelle d’une prof de sciences naturelles extraordinaire et j’ai décidé que je ferai des études de biologie. J’étais nul en sport mais j’ai bien senti qu’il fallait que j’apprenne la navigation, la plongée ; alors je me suis inscrit au club de voile sur l’étang de Montluçon, j’ai eu beaucoup de mal au début mais j’étais volontaire et j’ai progressé jusqu’à faire des compétitions : championnat de France en optimiste. Mes parents ont donc fait du camping en Bretagne dans les abers pendant 10 ans pour me permettre de faire de la plongée, de la planche et de la voile. Ils angoissaient d’ailleurs quand je disparaissais dans les vagues. Je me souviens de ma première rencontre avec un grand cormoran, noir de loin puis brun, irisé et avec ces yeux verts : j’étais admiratif de cette beauté.
Au lycée je n’étais pas très bon en maths et j’ai eu mon Bac D grâce aux matières littéraires, histoire-géo et philo. J’avais des copains soit très scientifiques, soit très littéraires et moi j’étais à mi-chemin ; je lisais beaucoup, très cinéphile aussi mais pas encore naturaliste.

Je suis parti à Clermont-Ferrand pour faire un DEUG de biologie, sans grande passion car les sorties de terrain étaient rares. Je me souviens d’une seule près du lac Pavin, où j’ai découvert les insectes et leurs larves, et l’hydrogéologie.
Je candidate ensuite à Brest pour faire une licence de biologie des populations. J’y vais pour retrouver la mer, pour faire de la plongée, de la voile et pour découvrir la biologie marine. J’ai bénéficié de nombreuses sorties sur le terrain avec Jean-Yves Le Floch’ et Jean-Yves Monnat. Mais nous, les étudiants, nous étions de la génération post-choc pétrolier et au bistrot devant un chocolat chaud, on entendait sans cesse la même ritournelle : votre licence c’est de la culture générale mais vous ne trouverez jamais de boulot !
Je ne me suis pas découragé. Avec JY Monnat j’ai beaucoup appris, il y avait le volet terrain et aussi l’apprentissage de la rédaction de petits rapports, j’y ai passé des nuits blanches avec des copains.
Entre temps j’ai fait des petits boulots : stagiaire chez Delbard pour faire de la culture hors-sol de boutures de rosiers, stagiaire à la station ornithologique de l’Ile Grande où j’ai découvert les oiseaux marins en faisant le guide pour touristes et en parlant de la vie des oiseaux marins, mais aussi en assurant des campagnes de démazoutage. C’est à cette occasion que j’ai côtoyé des grands cormorans immatures et j’admirai leur côté amphibie et aussi comme ils s’apprivoisaient facilement. C’est à cette époque que ma sœur Isabelle m’achète le livre « les oiseaux de mer d’Europe » de Georges Dif, et la monographie de Brian Nelson sur les fous de Bassan.

En partance pour l'Allemagne

En fin de licence, j’avais 21 ans en 1989-90, je suis parti en Allemagne grâce à une bourse car il y avait un jumelage Brest-Kiel pour étudier à l’Institut d’océanographie de Kiel qui est renommé. Il y avait peu de candidats. Petit problème : je ne parlais pas un mot d’allemand ; Je suis donc passé par Heidelberg en interrompant mes études (mes parents étaient inquiets), pour un an de cours d’allemand (langue, culture), dont je suis sorti major. Puis, j’ai intégré l’institut à Kiel où j’ai fait de la zoologie marine, et une formation interdisciplinaire puisque j’ai étudié la biologie de la pêche, la météo marine, la chimie marine, l’océanographie régionale et mondiale, les abysses… la bibliothèque de l’Institut était une vraie caverne d’Ali Baba : il y avait tout sur les océans dans toutes les langues (allemand, anglais, espagnol). Et il y avait la pratique ! dès le premier jour, j’étais sur un bateau pour récupérer des échantillons pour un projet de recherche pour lequel je devais faire un rapport en allemand. C’était dur, en hiver la Baltique était gelée, j’étais en vélo dans la neige pour aller et revenir du travail, toujours dans la nuit.
Je me suis passionné pour le plancton, j’étais ébloui par ce que voyais sous la loupe binoculaire. En 1991, j’ai fait une campagne de cinq semaines en septembre-octobre sur le Poséidon, un bateau de 60 mètres, pour étudier la migration verticale des larves de harengs en Mer du Nord. Nous avons essuyé trois énormes dépressions avec des vents tels que nous nous sommes refugiés aux Orcades. J’ai été très malade …

Premiers travaux sur le grand cormoran et premiers contacts avec le GONm

Je rencontre à Kiel mon premier mentor, Rory Wilson, britannique, qui travaille sur le manchot et pionnier du « biologging », notamment des géolocateurs miniaturisés qui permettent de suivre les migrations des oiseaux partout sur la planète et les océans. Il était très drôle, désacralisait un peu la recherche, pour lui c’était fun, et c’est grâce à lui que je travaille sur les oiseaux marins, et le grand cormoran. Mes camarades de promo me dirent que, « vu les conflits qui existent entre le grand cormoran et les pêcheurs, ta carrière est faite » !
Rory Wilson met au point un thermomètre que je dois faire avaler au grand cormoran pour déterminer la quantité de poissons qu’il mange. Je fais des essais sur des cormorans arboricoles en Allemagne, mais échec. Je recommence sur des grands cormorans apprivoisés dans un zoo, je les nourris avec du poisson contenant le thermomètre et ils le recrachent, preuve du bon fonctionnement.
Mais il me faut encore tester ce système en nature. Au printemps 1992, j’appelle Jean-Yves Monnat, qui me recommande de contacter Gérard Debout. Je demande à ce dernier si je peux venir expérimenter lors du stage de printemps à Chausey. Gérard, qui connaît bien les cormorans, est immédiatement partant. Une semaine plus tard, je suis dans le train Hambourg-Paris avec du matériel et je suis accueilli chaleureusement par Gérard et tous les membres du GONm. Je découvre l’archipel de Chausey, magnifique.
Mes manips ratent mais, c’est trop beau, je reviendrai.
Nouvelle tentative : à l’automne 1992 Rory Wilson m’envoie en Afrique du Sud, pour travailler sur une espèce endémique, « le cormoran des bancs ». A 24 ans je suis témoin de la fin de l’Apartheid. On est à l’époque où Mandela sort de prison, le pays est au bord de la guerre civile avec des luttes entre l’ANC et les autres groupes partout dans le pays. Bien des personnes quittaient l’Afrique du Sud, ma famille était morte d’angoisse.
Je travaille alors à l’Institut FitzPatrick d’ornithologie africaine (université du Cap), le campus est avec vue sur l’océan austral, et là encore une bibliothèque d’une richesse exceptionnelle. Mon travail se solde par une réussite expérimentale me permettant de boucler mon master.

Mes études à Chausey

En 1994, je deviens objecteur de conscience au GONm tout en étant basé à Kiel et je dois un immense merci au GONm pour la confiance que Gérard m’a accordé pour monter les manips sur le grand cormoran et le cormoran huppé de Chausey. Ces travaux de thèse ont bénéficié de support financier et technique de Kiel et j’obtiens des sous de la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) en argumentant sur l’écologie comportementale du grand cormoran et le débat de société qui lui est attaché. J’étudie sa physiologie énergétique et son efficacité en pêche liée à la nature semi-perméable de son plumage.
Et donc, en 1994, 95 et 96 d’avril à juin je travaille à Chausey. On évalue la quantité de nourriture ingérée par les oiseaux en période de reproduction en plaçant des balances sous les nids, en faisant du radiopistage, en évaluant les fréquences cardiaques etc. Nous montrons que le grand cormoran a des besoins alimentaires normaux mais qu’il a une efficacité prédatrice bien supérieure à celle des autres oiseaux marins, comme par exemple les manchots. Ses périodes de pêche sont courtes, en un quart d’heure il en a terminé : en effet, il pêche en eau peu profonde avec des dépenses énergétiques faibles car son plumage semi-perméable ne nécessite pas de compenser une poussée d’Archimède forte. C’est aussi à Chausey que, grâce au radiopistage, j’ai compris que chaque oiseau a ses habitudes et un mode de fonctionnement personnel : l’étude des durées de plongée, la relation linéaire entre durée de la plongée et profondeur, les cormorans sont capables de moduler d’un jour à l’autre bien qu’ils soient sur le même site, ils sont opportunistes et acquièrent une spécialisation de leur niche écologique aboutissant à une grande efficacité prédatrice.
Mais, l’oiseau a mauvaise réputation, et il est l’enjeu d’un grand débat de société. On entre dans le champ de la politique, comme j’en débattrai lors de la Table ronde publique au Dôme à Caen le vendredi 9 décembre, où sera exposé le bilan de 50 ans d’actions du GONm.

Grand cormoran et autres oiseaux marins

Je boucle mon doctorat au printemps 1997, comme océanographe spécialiste de l’écologie des oiseaux marins. Celle-ci nécessite l’étude du problème de l’isolation thermique du plumage puisque les grands cormorans du Groenland nagent dans une eau à 3°C et même un ou zéro degré. L’eau étant très froide ils cherchent les eaux très poissonneuses. Mais, quel que soit le climat, le plumage est le même partout. Ils restent même dans la nuit polaire tout l’hiver. On se demandait comment les grands cormorans capturaient les poissons sous l’eau dans le noir : Il y a quelques années, des chercheurs de l’université du sud du Danemark ont montré que l’audition des cormorans est équivalente à celle des mammifères marins. Ainsi, ils sont capables de percevoir les bruits de mâchoires, de vessie natatoire des poissons très lents nageant en eau froide, ce qui rend plus facile la capture.

Je découvre le Groenland grâce aux cormorans et, à partir du début des années 2000, je monte un programme de recherche sur le mergule nain en relation avec le réchauffement climatique : j’étudie les conséquences de la fonte de la glace de mer sur l’écologie de l’Arctique.
Pourquoi le mergule ? c’est le meilleur bioindicateur car il est très abondant (60 millions d’individus), planctonophage (modification du zooplancton avec le réchauffement), il a un petit poids (150 g) et n’accumule pas de graisse, il est volant avec une surface alaire limitée, on peut l’assimiler à un colibri des océans. Mais, cette espèce est réputée pour être difficile à étudier car on la voit difficilement, elle est hyperactive, elle niche en Arctique dans des pierriers fréquentés par les ours blancs, on n’a jamais vu de jeunes et il faut l’équiper avec des appareils de quelques grammes au maximum.

Après ma thèse en Allemagne en 1997, je fais un post-doc en Ecosse (la Mecque des oiseaux marins) avec une bourse Marie Curie encadré par Sarah Wanless. Dans un monde très masculin, elle est la Jane Goodall des oiseaux marins. Auprès d’elle, je fais l’apprentissage de la rigueur, de la persévérance au long cours puisque son programme sur l’île de May au large d’Edimbourg fête ses 50 ans. J’ai bénéficié à la fois d’une grande exigence scientifique et de beaucoup de bienveillance.

C’est quand Yvon Le Maho (Labo d’écophysiologie à Strasbourg), lit mes articles avec Rory Wilson qu’il me propose de candidater au CNRS. Je suis alors sur le terrain aux Malouines à l’automne 1996 en fin de thèse, en train d’étudier les albatros à sourcils noirs sur le plateau continental argentin et les conséquences de la pêche industrielle. Je reçois donc un fax de R. Wilson qui m’annonce la proposition de Le Maho. Wilson me dit « Tu sais ce que je pense du CNRS, c’est un panier de crabe et ils se prennent tous pour des demi-dieux, mais tu devrais quand même tenter le concours ». J’ai candidaté trois fois ! quand j’ai eu le concours, j’arrive chez Le Maho à Strasbourg en 2000 et y suis resté jusqu’en 2007. Ensuite je passe par le CEFE à Montpellier, puis Chizé puis je reviens à Montpellier.
Je ne suis pas un passionné d'informatique, mais avec Wilson j’ai eu accès à la technologie ; je montre quand même plus d’intérêt pour les résultats de recherche, pour l’écriture.
J’ai aussi une passion pour les programmes de terrain en milieu difficile et je suis devenu un expert en logistique. Cela a commencé à Chausey, grâce au GONm, où j’ai dû recruter des volontaires puis des assistants rémunérés afin d’assurer le laborieux radio-pistage des cormorans ; j’aimais ce travail d’équipe où il fallait trimer plus que tous les autres pour que tout se passe bien. Il me manque parfois quand nous ne sommes plus que deux ou trois sur le terrain, au lieu de douze. Au fil des années, avec mes amis (et néanmoins collègues) j’ai monté quatre programmes de terrain à long terme : Groenland sur les mergules, Bretagne sur les fous de Bassan, Afrique du Sud sur les fous du Cap, Iles de Marseille sur les puffins. La plupart de ces programmes fêtent actuellement leurs 20 ans.

J'ai voulu être un scientifique conteur

L’écologie comportementale, l’écologie de la conservation ont une implication sociétale. Il est cependant essentiel d’expliquer, de raconter et c’est là où la recherche prend une dimension littéraire. Culturellement, les scientifiques s’autorisent peu à être des conteurs, ils sont vite castrés par les rapporteurs et on les taxe d’affabulateurs. J’aime transgresser cette barrière.

Ça n’était pas gagné car je suis un gaucher dyslexique, nul en orthographe, mais j’ai toujours voulu écrire et j’ai fini par trouver le bon sujet. En 2015, j’ai eu la chance de rencontrer à Vancouver Daniel Pauly qui faisait de l’écologie marine et je voulais collaborer avec lui. Il avait une énorme base de données sur 15 ans de relation oiseaux marins et pêcheries. La taille des populations d’oiseaux marins avait décru de moitié depuis les années 1970. C’est une personnalité très controversée qui a écrit plus de 700 papiers, 30 livres, qui a travaillé dans le monde entier.
De manière étonnante Daniel Pauly m’a donné carte blanche pour écrire sa biographie, avec une confiance vertigineuse et il m’a conté son histoire avec beaucoup de talent.
Au début du processus j’ai pris conseil auprès d’un auteur américain, David Quammen, qui avait écrit « The song of the Dodo ». Il m’a conseillé de l’écrire en entier et de ne la montrer qu’après à un éditeur. Ainsi, pendant deux ans, j’ai écrit tout seul, j’ai fait une enquête énorme dans dix pays sur quatre continents. Finalement j’ai montré le manuscrit à Daniel Pauly en une fois. Zéro censure, quelques corrections mineures. Il ne me restait plus qu’à trouver un éditeur. J’ai eu la très grande chance de rencontrer Baptiste Lanaspeze des éditions Wildproject, qui a aimé mon texte et l’a publié au printemps 2019. Daniel Pauly est venu à Paris pour le lancement à l’institut océanographique, il a été interviewé dans Télérama, le Monde, Libération, La Croix et a été invité à 28 minutes sur Arte. La biographie a été traduite dans la foulée par Georgia Froman, une américaine basée en France. Cette version anglaise est parue à l’automne 2021, et touche désormais un plus large public.

Début 2020 j’ai été contacté par Stéphane Durand qui dirige la collection Monde Sauvage chez Actes Sud. Il cherchait quelqu’un pour écrire un livre sur les oiseaux marins. Cela a coïncidé avec la pandémie du Covid, et des confinements propices à l’écriture. J’ai pu ainsi revisiter littérairement trente années de recherches sur les oiseaux marins (Les manchots de Mandela et autres récits océaniques, Actes Sud) ; j’ai adoré cette expérience et j’ai de bons retours quant au résultat.

Au bout du compte, je suis toujours passionné par la recherche et m’efforce de maintenir les activités de terrain, de gestion de programmes de recherche et d’écriture. Cela demande beaucoup d’énergie sur les aspects administratifs et logistiques, et les résultats de recherche relatifs à la crise environnementale sont souvent anxiogènes.

Ma vie de recherche

C’est probablement un peu pompeux, mais je crois avoir donné beaucoup de ma vie à la recherche. Ce rythme est souvent non compatible avec une vie en dehors du boulot. J’ai maintenant une vie de famille mais je pense souvent à la solitude des femmes chercheuses, notamment par le passé, comme Rachel Carlson qui a œuvré seule.
Pour moi il y a eu la magie des découvertes, des travaux de terrain et des rencontres. Notamment, le lien avec le GONm a représenté une étape clé et un point d’ancrage majeur sur mon chemin.
Je n’ai pas changé le monde avec mes 30 ans de recherche mais je peux raconter des histoires, faire de nouveaux récits. Je reste un naturaliste capable de m’émerveiller devant une bestiole dans un pays ravagé ! Je pense que je peux contribuer à une rêverie créatrice.
Mon travail d’écrivain me change, mais c’est un labeur solitaire. Entre deux livres j’ai besoin de voir du monde et de retourner sur le terrain.

Pour conclure, je garde bien sûr le contact avec le GONm même si mes périples m’emmènent souvent bien loin de la Normandie. Avec Fabrice Gallien nous recollaborerons pour travailler sur les cormorans huppés et les mouettes.
Au printemps 2022 je suis retourné avec beaucoup de plaisir sur Chausey, que je trouve remarquablement peu transformé en ce qui concerne le milieu et je suis sûr que, même s’il y a moins de cormorans aujourd’hui, l’habitat est favorable pour qu’il y ait beaucoup plus d’oiseaux.
Certains trouvent qu’il y en a de moins en moins, d’autres qu’il y en plein, on retrouve là le glissement des points de référence qu’a si bien exposé Daniel Pauly.
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33 - Mémoire du GONm ; interview du 50° anniversaire : Gérard Debout

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photo Claire Debout
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Cette interview est un peu spéciale pour moi puisque cela fait 47 ans que nous menons une vie de couple plutôt fusionnel et une vie consacrée en belle partie au GONm mais… commençons par les débuts !


Gérard, ta jeunesse n’a pas été très « nature », même à l’école ?

Je passe une jeunesse dans des petits bourgs au hasard des mutations de mon père gendarme, en Touraine, dans les Deux-Sèvres, dans la Manche à partir de 1965. Je jouais avec les copains dans la nature proche, on ne se posait pas de question de savoir si on pouvait aller ailleurs. Cependant, mon père nous a emmenés en vacances en Espagne et, au retour, je me souviens avoir traversé la forêt des Landes, si grande, que je devais forcément voir des aigles en roulant en voiture sur la N10. Cela n’arriva pas !

A l’école en CE2 j’ai eu un instituteur remarquable que j’ai retrouvé en tant que professeur de sciences naturelles au collège nouvellement créé à l’Absie dans les Deux-Sèvres. J’ai gardé des contacts réguliers avec lui, encore aujourd’hui. Il nous a fait un cours sur la classification des oiseaux en 6ème que je dois toujours avoir. Quand, en 1965, nous sommes revenus en Normandie (mes parents étaient normands, tous deux de Besneville), j’étais en 5ème et la prof nous a demandé de faire une collection d’insectes : sans passion, je l’ai laissé pourrir ; on devait réciter par cœur les cours et la note était proportionnelle à la longueur de la récitation ! je la trouvais nulle.

A la fin de la 3ème, je passe le concours d’entrée à l’école normale de Saint-Lô et j’y reste de la seconde à la terminale. Dans cette école, j’ai eu un professeur de sciences naturelles, Lucienne Lecourtois surnommé Latine ou encore Titine, ainsi nommée par l’usage quasi constant des noms latins pour qualifier les animaux et les plantes. Dans le jardin de l’école, il y avait un bassin avec des petits pingouins en cours de démazoutage. Mais, ce n’est pas d’elle que je tiens mon intérêt pour l’ornithologie, bien qu’elle soit très naturaliste et très en avance sur le plan de la protection de la nature. En stage en seconde à Saint-Martin-de-Bréhal, on avait découvert les algues, la dune avec le pleurote de l’éryngium qu’elle avait voulu nous faire manger dans une omelette, mais mal lavés on avait surtout mangé une omelette au sable. On a eu aussi une séance de baguage avec un professeur du collège de Bréhal, Claude Desliens, que j’ai redécouvert par la suite mais, à ce moment, je n’ai pas du tout mordu. A cette époque, nous passions nos vacances à Portbail, non loin du berceau des familles Debout et Clément (famille de ma mère). Mon père connaissait la nature cotentinoise et nous nous promenions à pied ou en vélo, nous ramassions des pissenlits pour la salade, des rosés des prés à la saison et aussi des laiterons et de la glinette dans le havre de Portbail, pour donner à manger aux lapins que ma mère élevait.

En 1970, armé de mon bac, j’arrive au centre CEG à Caen où je découvre que la majorité des cours se passe à la fac et un peu à l’EN, ce que je ne savais pas au départ. Je me souviens très bien du mémoire de géologie qu’on nous demandait en première année (CBBG) ; le sujet que j’avais choisi concernait la jonction précambrienne et primaire au niveau des landes de Lessay.

Mes parents étaient retraités à Portbail et j’y retournais à toutes les vacances scolaires. Un autre souvenir de fac sont les sorties de botanique avec Provost et Lecointe qui m’ont, par exemple, fait découvrir les orchidées sauvages que je ne connaissais pas. Avec Pierre Le Gall, zoologue, on a excursionné sur les platiers rocheux de Luc-sur-mer, de Saint-Vaast-la-Hougue et ailleurs encore : toutes occasions de découvertes naturalistes. Tout n’était pas aussi formidable : je me souviens d’un examen de TP de zoologie où il fallait reconnaître des spécimens morts ou conservés dans le formol : je n’avais pas vu la méduse transparente dans le formol transparent du bocal !

C’est à la fac de Caen que tu as vraiment fait tes débuts en ornithologie.

A la fin de la première année du centre CEG, qui correspondait à la première année de fac, je découvre la possibilité de poursuivre, pour aller au CAPES et à l’Agrégation. Je passe pour cela les IPES.
J’avais un copain, Christian Courteille qui était curieux de nature et on découvre un troisième larron, Bruno Lang, féru d’ornithologie et qui lisait des revues, des guides, avait des jumelles et sortait avec sa « meule » pour des balades autour de Caen. J’avais, par ailleurs, un cousin chasseur qui, lui, lisait le guide des oiseaux du Reader Digest, livre pour moi fondamental édité en 1971, et qui me permit de découvrir les oiseaux dans un livre ! A la fin du livre, avec Bruno, nous découvrons la mention « Le Cormoran », bulletin trimestriel, parmi les 11 revues d’ornithologie et de protection de la nature en France. Ce Cormoran s’avère être la revue du groupe ornithologique régional de Basse-Normandie, basé à la fac des sciences de Caen. Bruno est allé voir, a découvert le bureau de Bernard Braillon (professeur de Physique – Chimie), très accueillant et ouvert et, dès ce moment-là on ne l’a pas lâché.

L’été 1974, Bruno, Christian et moi sommes allés découvrir l’île de Jersey puis on a rejoint Braillon dans les Pyrénées avec ma 2CV. Il nous a montré le vautour percnoptère en nous donnant un rendez-vous précis à 9h00, nous indiquant que si on était en retard, on ne le verrait pas. Le lendemain, à l’heure dite, pointant nos jumelles sur la falaise, à 9 h pile, le percnoptère décolle et, on ne l’a jamais revu ! j’ai ainsi découvert des gens avec une connaissance de la nature très précise.

J’ai adhéré au GONm en 1974. C’est vrai que dès 1973-1974 je fais de l’ornithologie et tout de suite beaucoup ; en 1974, je participe à l’Atlas de Yeatman sur la carte de Portbail – Saint-Sauveur-le-Vicomte et je rédige avec Braillon pour la revue Le Cormoran, un article de synthèse sur la nidification de la cigogne blanche de 1971 à 1975 à Selsoif (près de la Sangsurière) avec les données, obtenues en partie grâce à mon père qui connaissait les riverains.

Après avoir passé ma licence de sciences naturelles, ma maîtrise et le CAPES, j’ai connu Claire qui faisait une maîtrise de biologie-zoologie que je commençais aussi. En mai 1975, nous sommes allés à Saint-Marcouf (en réserve depuis 1968) à bord du bateau de Monsieur Lepraël pour recenser les oiseaux marins nicheurs. Il y avait Bernard Braillon et sa femme, Jacques Alamargot avec sa femme et son fils, moi et Claire. Je me souviens de cette impression première qui restera un des souvenirs ornithologiques les plus marquants de ma vie : une île couverte d’oiseaux. C’était au moment du pic des goélands argentés, 3 250 nids sur les 3 ha de la réserve de l’île de terre soit plus d’un nid par mètre carré. Nous étions sidérés, estomaqués et tellement étourdis par les cris des goélands que je n’ai pratiquement pas de souvenir des 141 nids de grands cormorans.

A l’automne 1975, nous nous marions, avons un enfant puis deux et à partir de là je n’ai fait de l’ornithologie qu’en famille ou presque. A l’automne, des sorties avec Bla en baie des Veys nous permettent de nous familiariser avec les canards arrivés pour leur hivernage. Et dès cet hiver, j’ai convaincu mon père de suivre les grèbes castagneux (et esclavons aussi à l’époque) en nombre tout l’hiver sous les ponts de Portbail, hivernage très réduit de nos jours.

L’année 1976, fut studieuse puisque, tout en préparant l’agreg, j’occupais mon premier poste de professeur en collège à Montivilliers à côté du Havre et, pour ne pas rompre avec la recherche, j’entame en 1978 un DEA avec monsieur Saussey, sur les vers de terre et qui s’est conclu par une thèse en 1983 : « étude expérimentale du développement post-embryonnaire d’un lombricien anécique Nicodrilus giardii. »

A partir de 1976, tu as de très nombreux souvenirs ornithologiques en famille et avec des amis :

En 1975, avant notre mariage à l’automne, nous sommes allés aux vacances de Pâques, en Bretagne avec la troupe habituelle : Bla et sa femme Chantal et Christian Courteille ; découverte des Sept-Îles, du Cap Sizun, de la baie d’Audierne. Notre voyage de noces nous emmena en septembre … au Mont Saint-Michel et le souvenir des cris des courlis cendrés la nuit autour du Mont est encore très présent. L’été 1976, nous avons rejoint Alain Chartier et sa petite famille près du lac de Cauterets et vers le cirque de Gavarnie. Les années suivantes, lors des vacances scolaires, nous découvrons les pays étrangers surtout l’Espagne avec des souvenirs merveilleux de l’Aragon, de l’Andalousie (El Rocio et le Guadalquivir) ; la Laponie avec ses colonies d’oiseaux de mer sur l’île de Hornoya où l’on pouvait marcher au milieu des macareux, admirer les grands labbes nicheurs sur l’île de Runde sur la côte ouest de la Norvège ; l’Italie avec la découverte des mouettes mélanocéphales et du cormoran pygmée dans la lagune di Comaccio.
En Normandie, lors des vacances plus courtes, nous sillonnons l’ex Haute-Normandie pour combler les trous des atlas, explorer les falaises du Pays de Caux avec les Chartier. C’est lors de vacances de Pâques dans les années 1980, que nous partons à la recherche du faucon pèlerin et des colonies de grands cormorans non comptées à l’époque. Le temps était parfois plus que médiocre et Alain et moi avons même essuyé une tempête de neige mémorable entre Criel et Penly et … nous sommes rentrés au gîte avec un œdème des cuisses, rouges tellement on avait eu froid. Heureusement, on a été bien soignés. C’est au cours de ces balades que nous avons observé le tichodrome échelette dans les falaises crayeuses d’Etretat, quel beau souvenir.
C’est d’ailleurs en 1983 que je suis allé avec Alain à Fécamp pour étrenner le premier zodiac du GONm appelé le Cartchulot (nom normand du pétrel-tempête). Cette mise à l’eau inaugurale sur le cordon de galets de Fécamp, à deux, fut assez rocambolesque et on a tout de suite vu que longer les falaises du Cap Fagnet en bateau pour compter les nicheurs n’était pas efficace. Il a fallu alors compter avec une bonne connaissance des marées, heures et coefficients, pour doubler le Cap Fagnet à pied l’eau jusque sous les bras et en levant les jumelles et la longue-vue au-dessus de la tête, pour aller compter les goélands et les cormorans nicheurs. Ces sorties ont permis de combler la méconnaissance des falaises cauchoises, en passant des vacances à Dieppe, à Fécamp. C’est à partir de ce moment que je me suis rendu compte que, quand on organise une enquête, il faut prévoir et imaginer qu’on va devoir combler pas mal de trous.

C’est en 1979 que j’ai organisé le premier recensement des oiseaux marins nicheurs de Normandie et depuis, à la fin de chaque décennie. J’ai réalisé seul le comptage de la colonie de goélands argentés du Banc Herbeux dans l’estuaire de la Seine, colonie aujourd’hui disparue en raison de l’envasement lié aux travaux portuaires pour le pont de Normandie. En passant au niveau du bac du Hode, il m’a fallu longer la digue nord de la Seine à marée basse et en nageant un peu traverser la digue au niveau des brèches, et continuer dans la vase pour recenser 36 couples de goélands argentés, deux couples de goéland marins et deux d’huitriers. Depuis, les travaux ont permis le développement de la grande roselière sur laquelle Franck Morel (chargé de mission au GONm) réalise toujours des comptages en lien avec la maison de l’estuaire.

En 1988, il a fallu organiser les premiers recensements concertés des oiseaux marins nicheurs dans les falaises cauchoises et donc organiser des stages ; le premier se fit sans aucun haut-normand mais avec beaucoup de bas-normands, un québécois (copain de Joseph Garrigue), un belge (Geoffroy de Schutter) et plusieurs parisiens comme Eric Pasquet et Annie Érard.
Depuis, j’ai organisé de très nombreuses enquêtes (limicoles nicheurs, râle des genêts, hérons etc.) qui ont mené à plusieurs études conclues par des publications dans Le Cormoran. L’ornithologie a toujours été pour moi le plaisir de l’observation sur le terrain (décompte) et la démarche scientifique qui doit conduire à des publications : sans elles, il y aurait un plaisir égoïste de loisir pur : je trouverai cela stérile.
Outre les études sur les oiseaux marins dont je parle ensuite, j’en ai fait aussi sur le remembrement, j’ai fait un quadrat sur les herbus de la baie d’Orne où nous allions retrouver les Riboulet assez souvent (François travaillait alors en baie d’Orne).

Là encore, tes observations se concluent par des études et des publications, confortant le volet scientifique du GONm ?

Initialement, j’étais intéressé plutôt par les goélands puis par le grand cormoran. Pour pouvoir aller à Saint-Marcouf sans avoir à chercher chaque année des bateaux et pour pouvoir y aller plus souvent, j’ai réussi à convaincre Bernard Braillon de l’utilité d’un bateau : le GONm a alors acheté, en 1983, le premier zodiac de l’association (inauguré à Fécamp !). Pour que cet investissement soit rentable pour le GONm, j’ai dû passer le permis bateau, acheter une boule pour la voiture, trouver un garage à La Folie Couvrechef à Caen, je me suis donc bien impliqué dans cette évolution.
Le 14 mai 1983, on a fait notre vrai voyage inaugural vers la réserve de Saint-Marcouf en compagnie de M. et Mme Moreau. Madame Moreau, un peu stressée, accrochée à la corde du zodiac a fini par casser le petit fanion planté sur le nez du zodiac. En janvier 1984, Alain Chartier, Bruno Lang et moi, lors d’une nouvelle sortie aux îles Saint-Marcouf, avons piqueté les emplacements des nids de cormoran, afin d’étudier leur éventuelle réutilisation. C’est là que j’ai énoncé l’idée de plaques, puisque les nids n’étaient pas réutilisés d’une année sur l’autre. J’ai publié plusieurs articles dans Alauda et l’Orfo en 1987 et 1988 sur l’histoire du peuplement du grand cormoran et sur la biologie de reproduction du grand cormoran ; ces articles ont été très bien accueillis par Noël Mayaud, grand ornithologue français du XXème siècle et qui s’occupait de la revue Alauda.
Je poursuis toujours l’étude du grand cormoran, ces dernières années grâce au baguage mené par mon fils Guillaume, bagueur. J’ai eu des collaborations hollandaises, polonaises et ai publié avec Sellers (anglais) et Røv (norvégien). La semaine dernière encore, j’ai fait un exposé sur les données actuelles sur le grand cormoran dans le cadre des conférences de la SEOF.

Dans le cadre de cette activité scientifique qui, pour moi, est primordiale, j’ai encadré de nombreux stagiaires, certains encore actifs au GONm comme Thierry Lefèvre ou Cyriaque Lethuillier ; j’ai aussi accueilli trois thésards de grande valeur ; le premier Philippe Leneveu pour une thèse vétérinaire ayant pour sujet le tadorne de Belon à Chausey afin d’expliquer l’absence des jeunes poussins et de vérifier leur départ précoce en baie du Mont Saint-Michel ; le deuxième fut Christophe Aulert pour un mémoire de maîtrise sur les oiseaux de la baie d’Orne, suivi d’une thèse de géographie sur la répartition des macreuses noires en mer pour montrer le lien avec la faune benthique ; le troisième enfin, David Grémillet travailla sur l’écologie alimentaire du grand cormoran et du cormoran huppé à Chausey.
Mon intérêt pour les oiseaux marins me conduit à faire partie des tout premiers membres du GISOM (Groupe d'intérêt scientifique oiseaux marins / Muséum national d'histoire naturelle) en participant à sa création aux côtés, en particulier, de Georges Hémery (alors directeur du CRBPO) ; j’en deviens vice-président puis président et à nouveau vice-président.
Suite à la demande de J. Perrin de Brichambaut, j’entre dans le CA de la SEOF (Société d’études ornithologiques de France) jusqu’à aujourd’hui.
J’ai même participé à une commission des débats publics en 2004 pour la route Caen-Flers et je suis depuis longtemps membre du CSRPN (conseil scientifique régional du patri-moine naturel).

Quelques exemples t’ont persuadé de l’utilité de la création de réserves ornithologiques pour protéger les milieux, ce que tu as initié très tôt dans les années 1980 :

Saint-Marcouf a été pour moi un vrai déclic, j’ai tout de suite compris l’intérêt d’une réserve pour protéger les oiseaux. Au GONm, on connaissait les réserves de la SEPNBC, de Jobourg, de Vauville et de Saint-Marcouf et, depuis mon passage à l’école normale, je savais que Lucienne Lecourtois essayait d’agir pour Chausey. J’avais participé à des recensements de printemps et j’avais constaté en 1976, que les nids de la sterne caugek avait été détruits par des plaisanciers qui jouaient au ballon juste à côté : 13 nids anéantis. J’ai ensuite poussé Braillon à contacter les propriétaires de Chausey et, dès 1984, j’organise des recensements en améliorant la méthodologie initiée par Lulu ; en 1987, après discussion avec Alain Crosnier, alors président de la SCI de Chausey, nous signons la convention avec la SCI propriétaire qui créait la réserve ornithologique de Chausey.
En effet, depuis 1980, BBr conservateur de Saint-Marcouf pour le compte de la SEPNBC me demande d’aller aux réunions réserves bisannuelles à Lorient, où il n’était jamais allé. Je découvre alors comment Bretagne Vivante crée des réserves et, sur ce modèle, je crée les réserves de Saint-Pierre-du-Mont et de Carteret. En 1982-83, je négocie avec Bretagne Vivante le transfert des réserves de la Manche (Jobourg, Saint-Marcouf et Vauville) au GONm.

Ensuite, nous avons créé bien d’autres réserves, stimulé, entre autres, par un exposé d’Alain Tamisier, chercheur CNRS en Camargue qui, au Colloque francophone d’ornithologie à Paris, rapporte qu’en 40 ans 40 000 ha de milieu naturel ont disparu et que, pour protéger efficacement, il faut s’assurer de la maîtrise foncière et ne pas trop se fier aux protections réglementaires.
C’est ainsi que la menace du débardage d’une peupleraie dévastée par une tempête, en vallée de l’Aure à Colombières, risquant d’anéantir un nid de hibou des marais, me conduit à soutenir sans réserve l’initiative d’Alain Chartier visant à acheter le site, ayant en tête les conclusions de Tamisier. Ce sera le départ d’une politique résolue d’achats dans les marais de Carentan, en vallée de la Risle puis, plus récemment, en vallée de la Sée.
Aujourd’hui, ces réserves représentent 825 ha dont 325 en propriété propre. Elles protègent les milieux favorables aux oiseaux mais aussi contribuent à la recherche ornithologique par les suivis, dont la durée exceptionnelle est un vrai trésor pour le GONm (55 ans pour Saint-Marcouf) et par des études qui ne pourraient pas être menées ailleurs, comme sur Tirepied par Jean Collette, ou dans les marais de la Taute par Alain Chartier.

Pour la protection, sur un strict plan ornithologique, 85 % des cormorans huppés normands sont sur les réserves du GONm, 96 % des huîtriers pies, 100 % des sternes de Dougall et caugek et enfin, 100 % des harles huppés nicheurs de France. Je pense donc que cet axe d’actions de l’association, initié par Bernard Braillon, est essentiel et ne se fait ni aux dépens de l’ornithologie ni de la sensibilisation, bien au contraire.
Je suis actuellement conservateur de Chausey et des îles Saint-Marcouf ; je l’ai été à Carteret, dans la rade de Cherbourg, à Tatihou etc. mais j’ai laissé ma place à d’autres dès qu’un adhérent acceptait d’assumer la tâche.

Tu as mené depuis bien d’autres actions de protection ?

Quand je suis devenu secrétaire du GONm en 1979, je me suis investi d’emblée dans la protection : informé, par Benoit Bizet, des menaces d’acquisition des dunes de Lindbergh-plage pour un promoteur immobilier, j’ai monté un dossier pour alerter le CEL (Conservatoire du Littoral) qui venait d’être créé et lui demande d’acheter ces dunes, ce qu’il fit.
En janvier 1979, toujours grâce aux Bizet, j’interviens auprès des administrations et de la presse pour suspendre la chasse en période de grand froid. Je me suis investi aussi fortement pour protéger le marais de la Sangsurière en louant de manière conjointe le droit de chasse en unissant nos efforts : le GONm, le WWF, la Fédération des chasseurs de la Manche et le CREPAN. Cela aboutira à la création ultérieure de la réserve naturelle nationale de la Sangsurière … sans nous.

Pour le reste des marais, les réunions étaient tellement nombreuses que j’avais réussi à ce qu’elles aient lieu le mercredi après-midi ou pendant la demi-journée de la semaine où je ne faisais pas cours ; j’en avais plusieurs par mois à Saint-Lô. Tout ceci aboutit à la création, début des années 1990, du PNR des marais du Cotentin et du Bessin.
Pour montrer qu’il faut de la continuité dans ses efforts, je précise que mes premières interventions pour la tourbière de Baupte remontent à 1981 ; la future réserve naturelle nationale de la tourbière de Baupte devrait être créée d’ici 2030 : 50 ans d’action sans faillir !
Autre investissement conséquent : l’estuaire de la Seine. Le GONm a eu la chance d’avoir Jean-Michel Henry qui s’est investi avec succès dans ce dossier, malgré de nombreuses difficultés. Je pense qu’on a dû se téléphoner chaque jour, longuement, pendant plusieurs années. Ce fut une coopération intense et joyeuse, interrompue par des rires complices et des citations dont Jean-Michel est friand. On a abouti à une extension de la ZPS puis à la création de la réserve naturelle nationale du Hode, malheureusement toujours parsemée de nombreux gabions de chasseurs.

Tu as agi aussi pour la création des ZPS normandes ?

Oui, en 1981-82, une proposition d’inventaire de 100 principaux sites ornithologiques français élaborée par Loïc Marion arrive au GONm pour la Normandie ; Braillon et moi avons deux jours pour confirmer ou modifier la liste sachant qu’on ne peut pas en ajouter. Notre liste sera reprise et servira à la désignation progressive des ZPS (Chausey était la première en 1988). J’ai délimité ces zones sur des photocopies de carte avec un gros feutre, les limites ainsi posées sont devenues ensuite les limites des ZPS ; elles ont donné du fil à retordre aux cartographes de l’administration qui ont dû transposer mes gros traits de feutre sur des plans cadastraux.

Parmi les actions de protection menées, je suis particulièrement content de la création de l’îlot du Ratier dans l’estuaire de la Seine, comme mesure compensatoire de Port-2000, et obtenue de haute lutte : il a fallu convaincre le conseil scientifique de l’estuaire et son président Claude Larsonneur ; je l’avais eu comme professeur de géologie à la fac, il avait gardé un bon souvenir de moi ; je l’ai donc convaincu ainsi que le Port autonome du Havre et l’administration. L’intérêt soulevé par cette initiative auprès de Pascal Galichon (responsable environnement au PAH), a abouti à la construction de novo de cet îlot qui abrite maintenant une vraie colonie d’oiseaux de mer avec goélands, tadornes, huîtriers. C’est une belle émotion que de voir cet îlot dans l’estuaire et de se dire qu’il est là grâce à moi. Je suis heureux d’accueillir P. Galichon à Caen en décembre au Dôme pour conclure notre 50ème anniversaire.
En conclusion, pour mener à bien des actions de protection, il faut de la ténacité, de la mémoire et, souvent, savoir décider vite ….
Mais, tout ce qui précède est indépendant du poste de président de l’association.

En effet, peut-on parler maintenant du volet administratif de ton investissement au GONm ?

J’ai été secrétaire du GONm en 1979 car Braillon m’a proposé d’être candidat à l’assemblée générale qui arrivait et, je l’avoue, j’aime relever ce genre de défi. Il faut reconnaître qu’à l’époque la tâche semblait facile et légère puisque mon prédécesseur ne m’a légué, en tout et pour tout, qu’une toute petite chemise avec quelques feuilles relatives au recensement des oiseaux échoués fin février. J’ai rapidement constitué mon champ d’action puisqu’il y avait presque tout à faire, mais toujours sous le regard bienveillant de Braillon. J’ai donc enclenché des actions dans le domaine de la protection, des enquêtes, de l’achat du bateau, des actions contre la chasse abusive en hiver etc.
Une étape importante furent les États généraux de l’environnement institués, en 1982, par le ministre de l’environnement de F. Mitterrand (Michel Crépeau) ; pendant un an, à raison d’une réunion par semaine environ, j’étais responsable d’une commission patrimoine naturel. J’y ai rencontré la présidente du CREPAN d’alors qui, s’il le fallait, a anéanti ma naïveté. Tout ceci a abouti à un livre blanc, dont les conséquences furent bien faibles.

Lorsque le GRAPE a été créé, Bernard Braillon en est devenu trésorier et mon activité administrative s’en est accru d’autant. En 1986, Braillon décide de ne plus être président du GONm et me propose de lui succéder. Un mois après à Noël, il décède et ce fut pour moi un très grand choc. C’est dans ces circonstances qu’on se dit qu’il va falloir assumer sans filet de sécurité. Depuis, je suis donc président sans la volonté d’occuper ce poste pour l’éternité, mais avec la volonté d’avoir l’assurance que nos successeurs poursuivront sur la voie engagée il y a 50 ans. C’est pour cela que ces dernières années, nous réorganisons le GONm de sorte que cette succession se passe au mieux.

Peux-tu préciser tes actions en tant que président ?

J’ai concouru à la crédibilité scientifique du GONm auprès des instances administratives régionales, du monde ornithologique scientifique national et international, reconnaissance obtenue par les différents colloques (organisés par Claire). A cet égard, le plus étonnant a été lorsqu’un responsable du Port Autonome du Havre m’a téléphoné pour faire expertiser nos données par un ornithologue indépendant. Je lui propose un ornithologue hollandais mais la proposition fut refusée en raison de la concurrence avec les intérêts du Port de Rotterdam, concurrent du port du Havre. Je lui propose alors un ornithologue anglais, John Andrews du RSPB, il est venu au Hode et, au bout de quelques mois d’expertise, a conclu que nos données justifiaient non seulement une protection du Hode dans son entier mais qu’elles justifiaient la protection de chacun des trois grands milieux même pris séparément : les vasières à elles seules méritaient cette protection européenne, les roselières et les prairies humide aussi.

En tant que président, j’ai favorisé une activité ornithologique intense qui fasse participer le plus grand nombre avec des modalités d’enquête simples qui ne soient pas un obstacle à la participation des observateurs potentiels. J’ai favorisé les rencontres, la convivialité par les anniversaires du GONm, les stages dont ceux de Chausey, le week-end de Carolles axé sur la migration, concrètement organisé par Claire sans qui cela n’aurait pas été fait.
Je me suis attaché à faire connaître le GONm et ses actions auprès des élus ; les échanges avec Messieurs Aguiton puis Legrand, présidents successifs du conseil général de la Manche ont été très positifs, mais ces relations ont beaucoup décliné depuis. Relations aussi avec les administrations, DRAE, DIREN puis DREAL, avec la région (pour les macreuses), avec le ministère (pour le tadorne), avec l’agence de l’eau et celle des aires marines protégées, etc.
J’ai assuré le volet administratif de nombreux dossiers et interventions contre la chasse de nuit, pour raccourcir la période pour les oiseaux d’eau, en proposant une réserve sur le DPM (en vain), en organisant les ramassages des oiseaux échoués liés aux accidents pétroliers, la participation aux nettoyages, etc.

En 2015, en même temps qu’Alain Chartier, j’ai reçu l’Ordre National du Mérite des mains du Préfet de Région, grâce à Gérard Clouet de la DREAL.

Le GONm n’a pas cessé de se développer, comment ?

J’ai tenu à ce que les adhérents aient une information permanente sur les actions de leur association par l’intermédiaire du Petit Cormoran, que j’ai repris depuis le numéro 147, et maintenant en ligne avec le site du GONm, site créé et actualisé en permanence par mon fils Guillaume.
Depuis les années 1980, le GONm se développe avec l’augmentation du nombre de ses adhérents. J’ai évidemment organisé les assemblées générales, les CA, les bureaux, la rédaction des rapports moral et d’activités, la rédaction de ERG, EPSION, RNN, le bilan des observatoires, etc. Le collège des correcteurs assume la relecture et correction de plus de 100 études par an et pratiquement à chaque étude, j’assume la deuxième relecture.
Le développement de l’activité est sensible dans les rapports moraux successifs que je présente aux AG et il est dommage que trop peu d’adhérents participent à ces AG.

Évidemment, un président est sous sollicitation permanente avec la nécessité absolue de répondre souvent très vite et aussi de suppléer les carences d’adhérents défaillants.

Dès 1982 jusqu’à 1987, le GONm a accueilli des objecteurs de conscience, certains affectés au secrétariat d’autres sur des réserves comme à Vauville ou à la Grande Noé.
Après le premier poste salarié créé à Vauville pour Chantal Kapps, entièrement financé par l’État, j’ai créé d’autres postes de salariés, le premier étant celui de Philippe Spiroux à mi-temps plusieurs années, tant que les financements étaient incertains et difficiles à trouver. Il a été affecté comme technicien dans le Nord du Cotentin et plus particulièrement pour la surveillance et les suivis ornithologiques de Saint-Marcouf, Tatihou et pour une partie des points d’écoute de type STOC dans les marais de Carentan. Il était évident que le développement de nos activités n’était pas possible sur le seul temps libre de nos adhérents bénévoles et les salariés devaient donc aider à l’accomplissement des tâches.
Nos salariés mènent un travail formidable ; je pourrais les citer presque tous mais, en particulier, Fabrice Gallien, Régis Purenne qui travaillent de façon si investie, en particulier sur les deux réserves dont je suis conservateur et qui me tiennent particulièrement à cœur. Je citerai aussi Franck Morel, objecteur avec Christophe Aulert au GONm, puis salarié au GONm et qui est un pivot de l’association.

Le GONm a plongé dans l’informatique au milieu des années 1980 quand, à une foire de Caen, nous avons, à plusieurs, participé à un tirage au sort qui a fait gagner au GONm (par l’intermédiaire de Thierry Galloo) le premier ordinateur, un Mac Plus !
On est désormais plus de 1 000 adhérents, on a un budget d’environ un million d’euros, on a des réserves, des millions de données ornithologiques, des milliers d’études, des centaines d’articles dans Le Cormoran, Alauda, Le Courrier de la Nature, l’Oiseau Magazine et d’autres revues encore.
En 1991, nous obtenons la reconnaissance d’utilité publique, essentielle : nous sommes la seule association naturaliste dans ce cas en Normandie. En conséquence, il a fallu changer les statuts de l’association et Joëlle Riboulet a été la cheville ouvrière de ce gros dossier.
Suivant notre décision en CA, j’ai remis une bonne part de mes archives aux Archives Départementales du Calvados.

A la fois ta fonction de président d’une grosse association régionale et ton activité scientifique t’ont permis de très nombreuses rencontres qui ont aidé à la reconnaissance du GONm :

En effet, mon activité d’ornithologue m’a permis de très nombreuses rencontres au GONm d’une part et dans le monde scientifique national et international d’autre part.
Les premières m’ont permis de fréquenter, Michel Saussey, Gaston Moreau, Jacques Alamargot, Bruno Lang, et, bien sûr, Bernard Braillon. J’ai une pensée particulière pour Claude Desliens que j’ai perdu de vue : je l’avais croisé en seconde lors du stage de Latine à la Vanlée. Je l’ai retrouvé au centre CEG à Caen. Il s’était beaucoup dépensé pour sauver les oiseaux mazoutés lors du naufrage de l’Amoco Cadiz, sur ses fonds personnels et sans compter son temps ; Il avait réussi à obtenir un remboursement partiel de ses frais par une compagnie pétrolière et les purs et durs lui ont reproché de s’être « vendu » ; écœuré, il avait tout quitté pour aller en Éthiopie en coopération. C’est quelque chose qui m’a profondément attristé : il y a ceux qui causent et ceux qui font.
J’ai lié de solides amitiés sur le terrain avec Alain Chartier, Jean Collette, Jean-Michel Henry, Stéphane Lecocq, Jean-François Elder et, bien sûr, Joëlle et François Riboulet. D’autres encore mais ils sont trop nombreux, ils permettent au GONm de vivre.

Parmi les seconds, je peux citer Pierre Nicolau-Guillaumet, Jean-Philippe Siblet (lequel a rédigé récemment la préface de notre dernier atlas), Georges Hémery, Gérard et Maryvonne Morel, le major-général Caldwell de Guernesey. Être membre du CA de la SEOF m’a permis de côtoyer d’éminents ornithologues comme J.M. Thiollay, C. Ferry et B. Frochot, P. Isenmann (avec lequel notre fils Gabriel a fait son mémoire de DEA sur la pie-grièche à poitrine rose). J’ai collaboré très amicalement avec Michel Métais, ancien directeur de la LPO que nous avons plusieurs fois accueilli à la maison et P.J. Dubois. La fréquentation annuelle des colloques francophones d’ornithologie à Paris dans le grand amphithéâtre du Jardin des Plantes au Muséum, rue Cuvier, me comblait par les rencontres de gens de tous âges, de toutes conditions sociales, ayant tous une passion commune, l’ornithologie. J’y ai rencontré P. Géroudet, L Yeatman, Glütz von Blotzheim, les frères Terrasse, Heim de Balzac. J’y ait fait mes armes d’ornithologue et de futur organisateur.

Tout ceci pourrait paraître très austère mais, avoue-le, tu as vécu des moments parfois très drôles et tu aimes cette vie associative joyeuse lors des nombreuses manifestations conviviales proposées aux adhérents, non ? tu as bien quelques anecdotes ?

- Oui, le zodiac puis le doris en particulier nous en a fait voir de toutes les couleurs : parfois perché sur les Rondes de l’ouest (à l’ouest de Chausey) avec Yves Grall, ou scotché sur la vase avec Fabrice Gallien et Gilles Le Guillou encore à Chausey ; une traversée dans le brouillard avec Thierry Galloo pour acheminer le premier zodiac, nous faisant arriver au nord de l’archipel alors qu’il fallait être plus au sud etc., mais aussi la découverte de la phosphorescence verte extraordinaire des noctiluques dans les sables et les eaux de Chausey, à l’occasion d’une nocturne à la recherche du pétrel-tempête sur la Meule à l’ouest de Chausey. Dans la nuit, le spectacle était stupéfiant … et mémorable.
- Les souvenirs de l’abbé de Naurois, racontés par son ami Gérard Morel, nous le décrivant en Afrique avec le fusil sur l’autel prêt à tirer sur un oiseau rare qu’il ne connaissait pas.
- Les essais d’étalonnage de mesure des distances d’observation des macreuses à l’aide d’une macreuse empaillée, empruntée au musée de la nature, que nous disposions à différents endroits sur le coteau de Mesnil Soleil pour que Christophe Aulert évalue les distances d’observation.

Je me souviens aussi d’une sortie dans les marais de la Dives avec les Bizet et Gabriel, ayant 3 ou 4 ans, reconnaissait déjà sans faille le chant du phragmite des joncs. J'étais très heureux de voir que Gabriel après l’ENS se soit tourné vers la recherche en écologie et qu’au moment de son décès je rédigeais un article en commun avec lui sur le cormoran huppé, paru ensuite dans Alauda. J’ai été très touché lorsque le conseil d’administration a décidé de donner le nom de Gabriel Debout à une des réserves des marais de Carentan que nous avions achetée. Guillaume nous a procuré les mêmes joies et bonheurs, bonheur de le voir dessiner avec un extrême talent les oiseaux et bien d’autres sujets, de le voir devenir bagueur et d’être maintenant un administrateur actif du GONm, en particulier pour le volet informatique et la communication.
Nous avons fait en famille et faisons toujours beaucoup d’ornithologie sans pour autant ne faire que cela. Nous allons à beaucoup de concerts, expositions, théâtre, nous lisons beaucoup et je suis particulièrement fier de notre bibliothèque et notre discothèque. Lors de nos vacances, nous visitons beaucoup de monuments et musées tout en découvrant la nature ; par exemple, en Aragon, quel bonheur de découvrir un magnifique château comme Loarre ou San Jose de la Pena et en même temps les martinets alpins et hirondelles de rochers. Très souvent l’approche ornithologique de nos périples nous a permis de découvrir des monuments merveilleux dans des sites beaucoup moins fréquentés.

Pour conclure sur ce panorama sans doute non exhaustif de ta passion pour l’ornithologie, que nous dirais-tu ?

Être actif dans une association ouvre un nombre incroyable de portes et permet des découvertes insoupçonnées au-delà même de l’objet de l’association : rencontre d’autres « acteurs » comme les agriculteurs, les pêcheurs, les scientifiques, … l’administration. Il faut avouer que ceux que l’on rencontre le moins (et cela devrait être l’inverse) ce sont les élus : très rares sont ceux qui nous rencontrent, encore plus rares sont ceux qui nous écoutent.

Le plus intéressant en fait, c’est la rencontre des adhérents qui sont autant de nouvelles personnes, de tous âges, de toutes catégories socio-professionnelles ; certaines sont désormais nos amis les plus chers. C’est aussi la rencontre d’observateurs exceptionnellement doués, des observateurs hors normes avec une vue ou une ouïe que le commun des mortels ne soupçonne même pas et … que je ne possède pas.

Les adhérents du GONm font partie de la toute petite minorité de normands qui connaît la nature et qui sait ce qui va et ce qui ne va pas : cela confère à chacun de nous une responsabilité. En Normandie, un certain nombre de sites ont été sauvés parce que le GONm a agi (sur nos réserves et en dehors de nos réserves). Dans l’estuaire de la Seine, il y a fort à parier que, sans Jean-Michel, il n’y aurait pas eu d’extension de la ZPS ou de création de la réserve naturelle. Quand on dit « le GONm » a agi, il faut bien voir derrière qu’un membre du GONm a agi au nom du GONm. Il faut que les adhérents du GONm prennent ainsi pleinement conscience du rôle qu’ils peuvent jouer pour la protection de la biodiversité normande.
Modifié en dernier par DEBOUT Claire le 02 févr. 2023, 18:51, modifié 1 fois.
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34 - MÉMOIRE DU GONm : les interviews du 50° anniversaire - Bernard Lenormand

Message par DEBOUT Claire »

Bernard à la réserve de Corneville -photo Gérard Debout
Bernard à la réserve de Corneville -photo Gérard Debout
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Enfance, adolescence et nature :

Pour moi, l’ornithologie est une affaire d’enfance, mais je suis plus que dilettante.
Je suis né en 1937 à la Chaussée d’Ivry en Eure-et-Loir, à 1 km de la Normandie, l’Eure faisant la frontière entre l’Eure-et-Loir et l’Eure.
La rivière, les prés, les bois, la plaine étaient mes terrains de jeux et mes premières activités étaient, aux vacances de Pâques, le dénichage des pies : nous étions rémunérés à l’œuf par la Société de chasse qui ainsi « protégeait » les jeunes perdreaux ou les jeunes faisans de la prédation des pies. Le petit pécule servait à acheter des hameçons pour les pêches futures. J’étais aussi un expert dans la chasse au lance-pierres, car nous étions juste pendant et après la guerre et on avait faim. Je chassais ainsi toutes sortes de passereaux : moineau, grive, merle, pinson mais aussi poule d’eau et, même, râle d’eau. Il m’arrivait de tirer sur des lapins pour avoir un tableau de chasse comparable à celui de mon père. Les lapins gités, pour moi, étaient plus faciles à tirer que les moineaux et étaient notre cible la plus fréquente.

En 1946, mon père est revenu de déportation et, dès 1947, la chasse fut réouverte (il était évidemment interdit de chasser sous l’occupation allemande). Au village, la société de chasse comptait une quarantaine de chasseurs qui pouvaient chasser le dimanche sur 1 400 ha.
J’avais donc 10 ou 11 ans, et muni de mon lance-pierres j’accompagnais mon père chasseur qui tuait essentiellement des lapins. Tous les soirs, sur une feuille je notais pour ma gouverne tout ce qu’on avait chassé. Le tableau de chasse était, pour la saison, environ une cinquantaine de lapins, une douzaine de ramiers, 5 à 6 lièvres, 7 ou 8 perdrix, des faisans, 4 ou 5 colverts, 1 ou 2 bécasses et, le jour de l’ouverture, avant qu’elles ne partent en migration on pouvait avoir une outarde canepetière … c’était le gibier d’exception, emblématique. J’en ai vu plusieurs sur le plateau de Saint-André-de l’Eure, dans les mêmes zones que l’œdicnème criard.

Notre maison était près d’une zone humide au bord de l’Eure près de la confluence avec la Vesgre où le râle des genêts nichait : nous l’entendions chanter depuis la terrasse de la maison. En fin de saison de nidification, il montait sur le plateau et stationnait dans la luzerne. On pouvait alors le voir ce râle des genêts, ou « crève-chien » ou encore « le roi des cailles ».
L’outarde, elle, s’envole très haut ; la dernière que j’ai vue c’était en 1962. Début avril, elles étaient de retour sur les Terres Blanches (plateau de 200 ha), environ 10 couples ! Elles sont venues tant que l’agriculture se faisait au rythme des chevaux et était peu mécanisée. La mécanisation est arrivée et les plus grands champs qui faisaient d'un hectare à un hectare et demi (donc plus de 150 parcelles), ont été remplacés par 3 ou 4 champs immenses et dénudés, le paysage bien sûr en a été bouleversé. J’ai vu aussi le petit héron blongios, le pinson du Nord ou pinson des Ardennes (nom donné par mon grand-père maternel).

Toute cette période de l’adolescence a été celle de la connaissance sur le terrain. Je n’avais aucun livre et pourtant je savais bien différencier les oiseaux même si l’accenteur était appelé souvent la grisette.
A l’époque, la chasse ne remettait pas en cause la survie des espèces, il y avait beaucoup plus d’oiseaux que maintenant. On mangeait de tout, mais tout n’était pas forcément poursuivi : ainsi, mon père ne tirait pas les vanneaux et l’œdicnème était considéré immangeable par ma mère ! les cailles et les bécassines n’intéressaient pas les chasseurs … « ça ne vaut pas la cartouche » disaient-ils.

Seuls les rapaces (buses, faucons, busards) étaient très rares mais parce qu’ils étaient tués pour empêcher les attaques sur les nichoirs de perdreaux ou de faisans. On faisait aussi la guerre aux corneilles, aux pies. « Plus le nid de la pie est haut, moins la saison sera venteuse » et, le plus souvent, ils n’étaient qu’à 2 ou 3 mètres de haut ce qui rendait relativement facile leur dénichage, mais ils étaient dans des aubépines, des épines noires, toujours dans des buissons piquants et l’opération n’était pas toujours aisée. Le nid contenait immanquablement 7 œufs. Par contre, le nid de corneille noire était toujours plus haut et rarement atteint. Par chez moi, il n’y avait pas de corbeaux freux, il n’existait qu’une seule grande corbeautière dans le parc du château d’Anet.

A la sortie de l’école normale en 1956, je pris mon premier poste d’instituteur à Ivry-la-Bataille, mais pas pour longtemps puisque fin juin 1957, je pars pour l’Algérie où je passe 20 mois à Biskra au nord-ouest du Sahara algérien. Évidemment, j’y ai découvert des oiseaux que je ne connaissais pas ou mal : beaucoup de gangas cata, des guêpiers, des courvites isabelles dans la palmeraie ; j’ai aussi observé des milliers d’oiseaux en dortoirs … bergeronnettes, moineaux etc. etc.
De retour en France, je repris mon travail d’instituteur, peu préoccupé par l’observation des oiseaux. Toutefois, en début de carrière, j’ai passé trois jours à Chausey avec 32 ou 33 élèves, j’avais loué des tentes et on campait dans l’espace de la ferme. Une année, après avoir eu 54 élèves mélangés de CP, CE1 et CE2 à Ivry-la-Bataille, cela m’a découragé. J’ai alors changé de métier en devenant représentant en montres, pensant gagner beaucoup plus d’argent. Ce ne fut pas trop le cas. De plus, comme normalien, je devais 10 ans à l’Etat sinon il me fallait rembourser et je ne le pouvais pas. Je suis donc retourné dans l’éducation nationale. Aujourd’hui je rencontre d’anciens élèves qui se souviennent des herbiers que je leur faisais faire et … aussi des heures de sport. En effet, je dois dire que j’aimais le sport et j’emmenais avec plaisir les enfants à la piscine ou faire du vélo. Mes dix dernières années dans le métier furent heureuses, j’avais de bons rapports avec les parents et les enfants.
C’est à 40 ans que, directeur de l’école de Corneville, je découvre que les enfants de l’école me montrant des fleurs ou un oiseau me demandent « c’est quoi ? ». Alors, avec mes collègues et les enfants je me suis remis sérieusement à la botanique et à l’ornithologie pour répondre à leur questionnement.

Premiers contacts avec le GONm :

A l’école il y avait aussi un instituteur titulaire remplaçant qui, en 1994, était déjà membre du GONm et que je rencontre par la passion commune du vélo.
C’était Alain Delalande membre adjoint au CA de 1993 à 1997 pour l’Eure. Il était le premier conservateur des 28 ha de la réserve de Corneville créée en 1997. Ensemble nous avons eu beaucoup de discussions, je l’accompagnais dès cette période et m’aperçus que je faisais beaucoup plus de comptages que lui. Je devins alors conservateur-adjoint et je l’accompagne aussi bien dans la réserve que dans la vallée de la Risle pour l’enquête râle des genêts. Il m’a fait connaître la locustelle tachetée en 1994, de nuit bien sûr. Il a quitté le GONm quand, avec ses fils, il a pris en charge le club de handball dont il est devenu président. Je l’ai progressivement perdu de vue au moment de ma retraite.
Depuis mon adhésion au GONm, je me suis formé sur le tas, je connaissais les fauvettes, mais il a fallu découvrir la cisticole, le phragmite, je me perfectionnais avec les enregistrements sur magnéto, cela m’a aidé entre autres pour la sittelle au printemps qui est assez déconcertante. En fait, j’ai beaucoup appris par moi-même. Je passe beaucoup de temps sur la réserve et j’en suis le conservateur depuis plus de 20 ans.

Plus tard, j’ai rencontré Fanny qui aime la nature et ensemble nous avons découvert la Camargue, le petit Rhône, les Alpilles, le marais poitevin etc. Avec Alain Guillemont, nous avons retrouvé l’outarde en Crau ! et puis, toujours avec Fanny, nous entreprenons de grands voyages à visée ornithologique et animalière comme le Costa Rica et bien d’autres pays, Tasmanie, Indes, Sénégal etc.
Une fois dans le Berry, j’ai volé en ULM avec les grues sans les déranger ! un vrai bonheur. Une partie de ma famille habite l’Aveyron près du Trou de Bozouls et j’adore y observer le cincle plongeur, chaque fois que nous allons leur rendre visite.

la réserve de Corneville :

La réserve de Corneville est un vrai bonheur malgré les problèmes inopinés de gestion. La dernière tempête a mis à bas beaucoup d’arbres dont des magnifiques trembles tombés sur les clôtures. Il a fallu agir et avec Fabrice Gallien, Samuel Lothon et d’autres comparses on a passé une journée à dégager tout cela à la tronçonneuse, ce fut un sacré boulot.
La gestion c’est aussi la relation avec l’agriculteur local qui bénéficie du terrain de la réserve. Le pâturage extensif était bien engagé avec cet agriculteur bio, mais depuis quelques temps c’est son fils qui a repris et … c’est moins facile : il ne respecte qu’imparfaitement la rotation dans les parcelles, certaines sont laissées à l’abandon et il ne répare pas les clôtures quand il y en a besoin. Alors, moins de pâturage, plus de repousse, il va falloir discuter pour améliorer tout cela.

Par contre, le problème de la chasse est réglé. Nous avions déposé une ou deux fois une plainte contre les chasseurs qui chassaient au bord de la réserve ; depuis le Conservatoire des espaces naturels a acheté ces terrains et maintenant une fois par an, avec les chasseurs, on coopère pour pousser les sangliers hors de la réserve et ils sont tirés dans le bois adjacent. De ce fait, la présence des sangliers dans la réserve n’est pas une gêne ni celle des chevreuils. Les deux espèces sont très présentes en plaine.

Les parcours Tendances :

Avec Fanny, nous recensons les oiseaux toute l’année dans la réserve, sur des parcours aléatoires de deux heures et nous faisons des points d’écoute.
Nous faisons aussi beaucoup de parcours Tendances, c’est l’occasion de sortir par tous les temps, l’hiver, le matin … Fanny s’y connaît de mieux en mieux. Sans y penser, on compte les oiseaux (et je compte aussi les fleurs …), mais nous partons sans carnet, sans stylo, on tient à exercer notre mémoire, on retient tout et dans l’ordre des contacts pendant une demi-heure stricte.
A la fois dans l’Eure et la Seine-Maritime, je fais 16 parcours Tendances, mais souvent nous allons nous promener à Honfleur en faisant un petit circuit dans le marais proche où on entend le rossignol et quelques limicoles ; pourquoi ne pas faire un parcours Tendances supplémentaire et terminer par une moules-frites ? J’y pense … en forêt de Brotonne aussi il y a un bon petit restau. J’aime bien faire les choses avec plaisir.

Notre parcours à Heurteauville, commencé en décembre 2021, est très intéressant, c’est un parcours pédagogique dans une tourbière qui n’est plus exploitée depuis 1982 ; on y a déjà vu du héron pourpré et Fabrice Prévost, m’a aidé à identifier, grâce à ma photo, un bécasseau cocorli. Entre mars et mai, on a eu des sessions à 39 espèces, c’est dire que c’est un milieu riche. On contacte aussi les pies-grièches écorcheurs (9 individus) c’est vraiment un bel endroit.
Sur le parcours Tendances de Foulbec que je fais dans une zone humide du Conservatoire du littoral, nous observons l’augmentation progressive des hérons garde-bœufs. C’est vraiment intéressant de noter, avec le temps, toutes ces progressions de l’avifaune locale et les régressions aussi bien entendu ...

Finalement, pour conclure, tant qu’on est en forme, on continue : j’ai fait plus ou moins 1 000 sorties sur la réserve en 20 ans, et c’est ça qui est super intéressant en plus du plaisir de la promenade et de la surveillance de l’évolution du milieu. Mais, continuons sans relâche ; en 1997, René Dumont, rencontré dans les Pyrénées, me disait « la planète est mal partie » … le dérèglement climatique, il m’en avait déjà parlé !

En conclusion :

Je prends le relais de Bernard pour montrer son bonheur de partager et de faire découvrir et il m’a fait très plaisir en me donnant son roman qu’il a écrit en 2015 qui s’appelle « Les Terres Blanches » et qui évoque très précisément son enfance et sa connaissance époustouflante des milieux et des différents villages et paysages qu’il arpentait autrefois avec son lance-pierres à la limite de l’Eure et de l’Eure-et-Loir.
Dans l’après-midi, nous partons faire un tour dans la réserve de Corneville, toute proche de sa maison. Cette réserve est un milieu très original de prairie marécageuse, boisée avec quelques mares et pâturée en extensif. Il nous montre ses travaux de bûcheronnage, dont il a parlé, suite à la tempête mais on a aussi admiré les mares avec leur miroir clair et tranquille où on aurait pu voir (l’heure n’était pas vraiment propice) des castagneux, des foulques ; des belles troupes de grives mauvis étaient déjà présentes et Bernard a cru avoir dérangé une bécasse mais … elle ne nous a pas attendu. C’est un très beau milieu qu’il faut évidemment préserver et Bernard et Fabrice ont à cœur de le gérer au mieux malgré parfois des difficultés. On peut conseiller aux adhérents du GONm de les contacter pour une visite. Vous ne serez pas déçus.
Claire DEBOUT
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35 - Mémoire du GONm ; les interviews du 50° anniversaire : Guillaume Debout

Message par DEBOUT Claire »

baguage à St Marcouf-2015. photo Gérard Debout
baguage à St Marcouf-2015. photo Gérard Debout

Cette interview m’a paru nécessaire au vu de l’implication de Guillaume dans la vie du GONm depuis de nombreuses années, même si elle n’était pas forcément visible de tous puisqu’elle est surtout informatique. Je suis restée neutre et ne suis pas intervenue, même si j’ai découvert des évènements que je ne connaissais pas. J’espère que vous apprécierez sa relation pleine d’humour et d’empathie.

Guillaume, ton “imprégnation” à l’ornithologie est bien ancienne : t’a-t-elle guidée très tôt ? Tu as sans doute beaucoup de souvenirs.

Mon imprégnation est ancienne, oui, car depuis ma naissance, voire in utero, j’étais au GONm ! Mon goût pour ce domaine était donc bien fléché.
J’ai plein de souvenirs ornithologiques des moments de vacances passées en famille dans divers pays d’Europe. Les plus anciens viennent d’Espagne où nous avons visité moults musées, églises, monastères mais où nous avons aussi cherché la grande outarde, les vautours et l’engoulevent à collier roux observé à la tombée de la nuit sur la place d’El Rocio. En France également, où mon père nous emmenait nous balader - voire pique-niquer - dans des endroits improbables, comme des décharges à ciel ouvert ou des stations d’épuration pour observer ou “cocher” des espèces peu fréquentes en Normandie.
J’ai également des souvenirs des stages organisés par le GONm à la Pentecôte, souvent sous la pluie et ceux de l’Ascension à Chausey où, au contraire, notre peau brûlait sous le soleil printanier. Je me souviens en particulier des grandes tablées, quand nous étions encore logés à l’école de voile, tablées qui se terminaient immanquablement par de longues parties de « coucou-bluff » avec Laurent Demongin et la bande à Doudou. Je me souviens de nos jeux au milieu des îlots avec les autres enfants des familles d’ornithologues, des pêches de vieilles, de saut à vélo dans la mer du haut du ponton et de sessions d’escalade, sommairement assurés, du mur du fort (sans que les parents le voient). L’impression d’être des aventuriers et puis, le soir, écouter les histoires de ceux qui revenaient des îlots en zodiac. Avec Karine, nous perpétuons la tradition et nous y emmenons nos trois enfants depuis leur naissance quasiment, et à leur tour, ils aiment beaucoup Chausey et y ont peut-être fait des bêtises sans que je le sache !...

Souvenirs, souvenirs aussi les comptages en Pays de Caux avec les Chartier aux vacances de Pâques : il faisait froid, on avait même eu de la neige et je me rappelle de nos cuisses rougies par le froid et la pluie. Mais quelle impression grandiose que ces falaises-cathédrales, le son des vagues qui se réverbère à leur pied, le cri des mouettes tridactyles qui s’envolent soudain toutes ensemble ; mais aussi nos “expériences” de géologie avec mon frère Gaby, quand on broyait les galets pour faire une soupe de calcaire ou quand on était à la recherche des géodes de pyrite de fer. On en a rapporté plusieurs qui sont tombées en poussière sur les étagères de nos chambres. Souvenirs encore des comptages des oiseaux échoués à Portbail avec mon Papi qui nous attendait avec sa voiture à la fin du parcours pour que nous n’ayons pas à faire l’aller et retour dans le vent froid de février.
A Chausey, Tatihou ou Saint-Marcouf, les décomptes des œufs, des poussins, des nids : le syndrome "œuf de Pâques” qui nous motivait, nous les mômes, à les trouver tous ! Et aussi, le challenge de la recherche des nids de gravelots, si mimétiques !
Tous ces voyages se sont bien souvent faits en voiture et, dans le vide-poche, il y avait, et il y a toujours, plusieurs guides d’oiseaux et, à force de les consulter, j’ai commencé à connaître par cœur les plumages de tous les oiseaux d’Europe, ce qui m’a bien aidé pour passer mon permis de bagueur par la suite ! Un autre type d’imprégnation !

En plus de l’ornithologie, tu as toujours aimé dessiner, c’était pratique quand tu attendais Gérard qui allait à des réunions ?

En effet, j’ai toujours dessiné. Cela m’a aussi permis de “fixer” visuellement les caractéristiques de silhouette et de plumage de nombre d’espèces. Avec mon frère, on s’était inventé chacun une planète pour laquelle on avait dessiné tout l’écosystème, paysages, villes, animaux, etc. Et à l’école, je passais mon temps à dessiner dans les marges de mes cahiers. Un jour, mon prof de français qui était adepte du lancer de craies, m’en projeta une mais je lui répondis -fort aimablement- que je n’étais pas un dinosaure et que je pouvais faire deux choses à la fois (dicton paternel).
Pendant mon enfance et adolescence, j’étais souvent au local le mercredi après-midi avec Gaby et Papa et je “suivais” la vie de l’association : on participait régulièrement à l’assemblage, pliage et agrafage du Petit Cormoran. Le premier local du GONm fut à la maison de la nature qui nous hébergeait au premier étage avant que la mairie de Caen nous permette d’occuper la Tour Leroy (où le GONm a toujours un dépôt d’archives et de documents divers). Jocelyn était alors objecteur et je jouais avec Gabriel dans le petit bassin du jardin devant le musée, et avec le chien “Kougloff” de Jocelyn. Comme maman travaillait le mercredi, Gérard nous emmenait nous promener voir les oiseaux ou nous traînait avec lui en réunion avec Gérard Clouet à la DIREN rue des Croisiers : à l’époque Gérard y allait sans rendez-vous, c’était super pratique et nous on jouait avec des Playmobil ou on dessinait, justement. Je me souviens aussi de Doudou, un autre objecteur, plongé dans la première machine (l’imprimante offset) utilisée par le GONm pour imprimer ses revues, les bras noircis comme s’il était aux prises avec une locomotive !
Toujours à cette époque où on faisait beaucoup d’ornitho, je me souviens des samedis matin où nous partions avant l’aube pour aller en plaine au sud de Caen et le plaisir de voir les troupes de perdrix au milieu du chemin s’enfuir à petits pas précipités et finalement s’envoler, voir les busards, les lièvres. On a même vu l’alouette calandrelle et un aigle criard ! Et le spectacle sublime du lever du soleil sur les cultures de blé, de betterave ou de pois en pleine croissance : quelles lumières !

Je me souviens aussi de plusieurs visites chez Gaston et Jeanne Moreau : de leur accueil doux et chaleureux, de leurs voix douces qui roulaient les “rrr” : cela m’évoquait un vieux parler français d’une autre époque. Ils sont pour moi les témoins d’un autre temps, une ornithologie sans numérique, où il y avait tout à découvrir dans une nature encore préservée et sauvage. Que de souvenirs lors des sorties en forêt où nous observions les mésanges boréales, les cerfs, les chevreuils et puis, cerise sur le gâteau le soir, la croule de la bécasse au crépuscule.

Dans notre maison, il y avait plein (et il y en a toujours plus) de livres en français et en anglais, et j’aimais piocher dedans aussi bien pour les images que pour le contenu ornithologique.
J’ai fait pendant quelque temps le comptage hebdomadaire de tous les oiseaux le long du canal de Caen à la mer, avec Antoine Cazin, au sein du “GONm-junior” de l’époque : une bonne initiation au suivi ornithologique régulier d’un site.
Vers 14-15 ans j’ai fait des super stages de dessin en Brière : un premier avec Denis Clavreul et un deuxième avec Robin d’Arcy Shillcock, où nous avons pu “barouder” dans les marais tout en croquant sur le vif toutes les espèces qui passaient devant nous. J’ai beaucoup été inspiré par John Busby, dessinateur britannique, au trait vif et synthétique mais j’apprécie également beaucoup des artistes comme Kim Atkinson dont l’univers est beaucoup plus foisonnant graphiquement mais toujours avec un œil naturaliste exercé. Robert Hainard bien sûr avec ses illustrations des volumes de Géroudet. J’ai aussi beaucoup lu les Souvenirs entomologiques de Jean Henri Fabre : sûrement une des sources de mon envie de devenir éthologue. J’avais également pour projet de partir pour les TAAF quand je serai objecteur (j’avais eu de nombreux modèles d’objecteurs épanouis au GONm, pendant toutes ces années). Mais, pas de chance, Chirac est passé par là et le millésime 1979 s’est vu dispensé de service militaire : donc plus d’objection de conscience ni de périple aux TAAF possible…

J’ai fait deux beaux “voyages de jeunesse” en 2000 et 2001 avec des amis. Le premier à Cuba avec les sous d’un Défi-Jeunes, on avait monté un dossier pour observer les oiseaux et on avait été aidé par GoSport pour les chaussures, les duvets et les sacs à dos. Avec deux copains et quatre copines, on a fait le tour de Cuba en stop, empruntant des voitures, des camions (les guaguas), des bus ou même des tracteurs ! Nous avons vu beaucoup d’oiseaux et des paysages magnifiques. On a même eu l’occasion de voir Fidel Castro à une cérémonie lors de laquelle il venait remercier la province meilleure productrice de canne à sucre : il y avait un monde fou, de la musique et Fidel a commencé son discours à 13 h. Comme à 17 h, il continuait toujours : nous sommes partis vers d’autres aventures ! Tellement de choses et d’oiseaux incroyables à voir et entendre, qu’on en a même oublié nos parents. Pas une nouvelle de donnée pendant un mois, il n’y avait pas de smartphones à l’époque : autres temps…
Le deuxième voyage m’a mené un mois au Chili avec Antoine et encore quatre copains et quatre copines. Là encore, le stop nous a aidés pour parcourir le pays jusqu’au bord de la Bolivie. Nous avons admiré les salars (étangs de sel) en montagne, nous avons visité la réserve nationale de Humboldt et une petite île avec manchots nicheurs, sternes incas, pélicans. Pour s’y rendre, la mer était vraiment très forte et dans le bateau ils passaient “la chevauchée des Walkyries” plein pot, c’était la terreur ! Heureusement qu’il y avait des oiseaux pour nous faire penser à autre chose …
J’ai continué à faire de l’ornitho pendant les vacances, au gré des périples pour aller voir les ami-e-s dans toute la France, en train grâce à la carte 12-25 ans, pas cher, ou grâce aux fameux tickets-soutes !

Ton parcours d’étudiant a été varié mais tu as su réaliser ton goût pour à la fois les sciences biologiques et ton goût pour l’art et le patrimoine, raconte-nous :

Après mon bac en 1997, je rentre au lycée Malherbe pour faire classe prépa bio pour devenir ornithologue ou éthologue. Ces deux années de prépa furent pour moi un enfer mais, ayant obtenu les oraux des concours des grandes écoles j’en suis sorti avec une équivalence du DEUG qui m'amène à la licence BOP à Caen où j’ai pu reprendre une vie normale… Je m’inscris à l’ACEN (association caennaise des étudiants naturalistes) au sein de laquelle je fais beaucoup de sorties sympas, aussi bien ornithologie, entomologie, botanique et astronomie (nous avions même pu observer une aurore boréale en plaine de Caen !).
Je fais ensuite une maîtrise de biologie des populations et des écosystèmes à Montpellier et c’est Alain Tamisier, éminent « canardologue », qui encadre mon stage de maîtrise au marais du Vigueirat en Camargue. De mars à juin, j’étudie la répartition des canards sur le plan d’eau et la distance de fuite suite aux dérangements animal et humain. Je dormais dans une petite bâtisse avec environ 50 rainettes dans la salle de bains : dur dur pour dormir !
Mais, finalement j’ai pris conscience que le suivi rigoureux de protocoles scientifiques n’était pas ma vocation, j’étais peut-être trop “rêveur” et pas assez “carré”. Je cherche alors un DEA qui puisse coupler nature et culture artistique et patrimoniale. Je trouve un DEA de muséologie sciences et société au Muséum national d’histoires naturelles à Paris. Une bien belle année dans la capitale, au sein du jardin des plantes, plein de visites et de découvertes. Je fais mon rapport de DEA sur les « représentations de la nature dans l’art ».
En parallèle de ces années d’études, je me forme aux outils informatiques : pour le dessin, la musique et le web ! Internet arrive et on commence à vouloir communiquer et partager ses créations par ce biais, un challenge à l’époque ! Papa m’avait refilé son vieil e-Mac et je me souviens avec émotion du doux bruit du branchement du modem 56K à internet : https://www.dailymotion.com/video/x5skfba lien à suivre pour les nostalgiques.
Je m’inscris ensuite à un DESS de directeur artistique dans le multimédia à l’école des Beaux-Arts à Rennes, pour peaufiner ma maîtrise des outils informatiques. Mais je n’apprends pas grand-chose et j’arrête en cours d’année. Je me fais alors recruter par Greenpeace pour faire partie d’une des premières équipes de “street-actor” en France. C’est là que je rencontre ma femme Karine… et le petit Arthur qui a alors 4 ans !

Depuis très longtemps… tu es inscrit au GONm comme adhérent famille. Tu en profites pour faire quelques missions particulières et tu t’engages dans le permis de baguage :

Après des années à apprendre à baguer les verdiers dans le jardin de Michel Saussey (en prenant le thé et en mangeant des petits gâteaux), à baguer des centaines de phragmites et rousserolles dans les roselières de l’estuaire de la Seine avec Laurent Demongin, Alain Chartier, Bruno Dumeige et d’autres, je passe enfin mon permis de bagueur au début des années 2000, lors d’un stage mémorable dans l’estuaire de la Gironde, en compagnie des frères Provost et des récentes recrues du CRBPO (Romain Provost et Grégoire Loïs entre autres), sous la houlette ferme et sans merci de l’historique Guy Jarry. Jour et nuit, nous baguons des milliers d'oiseaux, alternons avec des épreuves théoriques et des virées dans les bars, quand nous avons quelques minutes à nous ! Durant ce stage, je me souviens de la capture de râles, gorgebleues, torcols, hiboux petit-ducs et de l’observation d’une loutre traversant la route avec ses petits !
J’enchaîne aussi quelques “petits boulots” au GONm :
● un mois en 2000 comme garde animateur sur le cap de Carteret pour surveiller le grand corbeau.
● à l’été 2001, je campe près de la réserve de Vauville où je guide des animations mémorables avec des jeunes “difficiles” des quartiers de Cherbourg, émerveillés par les troupeaux de tritons et de grenouilles sur les bords de la mare.
● En 2002, avec mon vieux copain, Antoine Cazin, on travaille sur le projet de parc à thème “le peuple migrateur” de Jacques Perrin dans le Calvados et, à cause de la météo, je rate un tour dans le ciel, en ULM, avec les oies.
● En 2003, je suis engagé par le SyMEL pour être garde-animateur à Chausey pendant l’été de la canicule. J’arpente Chausey dans tous les sens, à pied ou en kayak et je fais un comptage des lézards verts qui, à l’époque, résidaient plutôt vers le sémaphore et ne dépassaient pas le pont. Karine et Arthur découvrent le monde des oiseaux cet été-là dans cet endroit merveilleux.
En 2004, quelques missions :
● combler les trous de l’atlas 2003-2005 dans l’Orne ;
● une étude sur la répartition et la compétition spatiale des bruants jaune et zizi dans les dunes de Portbail ;
● des suivis de limicoles en baie du Mont Saint-Michel avec Tonio, Pascal Hacquebart et Grégoire Gautier - avec des épisodes un peu périlleux quand on se laisse cerner par la marée haute dans les chenaux.
● J’assure également un remplacement de Sébastien Provost sur la réserve de Carolles un hiver.


La suite de ta carrière professionnelle a un peu ralenti ton activité au GONm ?

En 2004, je passe le concours d’attaché territorial de conservation du patrimoine avec l’option patrimoine scientifique et technique. Je suis reçu mais il me reste à trouver un poste. Après une période de chômage et petits boulots, j’atterris en stage à la DRAC puis obtiens un poste de chargé d’études à Normandie Patrimoine. Ma patronne Christine d’Anterroches me forme à la conservation préventive et à l’évaluation de l’état de conservation des collections patrimoniales.
Suite au décès de Christine en 2011, je dirige la structure et monte un projet appelé Naturalia pour lequel je recrute Antoine Cazin (qui était par ailleurs ancien salarié du GONm, chargé de mission avant l’arrivée de Rosine Binard). Ce projet me permet de réunir mes passions : concilier l’étude des sciences naturelles et la sauvegarde du patrimoine scientifique et technique. Nous établissons avec Antoine un panorama de ces collections en déshérence en Normandie (http://naturalia-normandie.org).
Je travaille à l’inventaire de ces collections, en particulier ornithologiques, inventaires que j’espère pouvoir verser dans la future base GéoNature GONm. On aura ainsi une biohistoire des paysages ornithologiques avec des données antérieures à 1960 et même quelques-unes du XIXème et XVIIIème siècles. Je poursuis toujours ce travail, entre mille autres choses, au sein de la Fabrique de patrimoines en Normandie, dont je pilote le pôle conservation, restauration et imagerie scientifique depuis 2014 (http://lafabriquedepatrimoines.fr).

Et puis, l’arrivée d’Ezékiel en 2006, puis de Sedna en 2009 et les nombreuses autres activités associatives que nous menons avec Karine nous mènent vers des domaines plus artistiques : édition, illustration et musique ! Mais nous prenons toujours le temps de nous promener en famille et lors de nos voyages, pendant les vacances, l’observation des oiseaux est toujours un fil rouge indispensable, qui nous permet d’explorer des lieux insolites.

Tes compétences informatiques t’ont amené à un investissement plus important dans l’administration du GONm

Mes débuts en informatique se sont faits par auto apprentissage. J’ai suivi évidemment l’arrivée d’Internet et grâce à mes diverses autres activités (label et groupes de musique, et la maison d’édition que j’ai créée avec Karine et Antoine), j’ai appris comment mettre en ligne des contenus, dans l’esprit punk du DIY (Do It Yourself). Je me suis beaucoup intéressé à la mouvance des logiciels libres que j’utilise toujours au quotidien. J’ai vite vu l’intérêt pour le GONm d’être présent sur le Web et dès 2009, j’ai créé le site du GONm (www.gonm.org) que je continue toujours de maintenir, améliorer et actualiser.
Je crée ensuite le forum, les outils de newsletters, les mails, l’outil de sondage pour le GCOJ, j’ai réinstallé Dolibarr le logiciel de gestion du fichier adhérents et divers “mini-sites” comme pour les réserves de Chausey, de la Grande Noé. J’ai installé la page Facebook en 2014.

Tout ceci donne beaucoup d’outils à gérer ! D’autant plus que j’ai par ailleurs une activité artistique et musicale et que j’ai créé et gère nombre sites d’autres associations, groupes ou compagnie (LSAA-éditions, l’Encrage, la cie Ne Dîtes Pas Non, Radio Bazarnaom, etc…) : cela prend beaucoup de temps.
Heureusement, des adhérents actifs prennent le relais et gèrent certains aspects : les réseaux sociaux pour Nicolas Klatka et Martin Billard qui ont fait décoller la page Facebook : nous avons plus de 12 000 followers aujourd’hui ! Et Philippe Gachet qui gère la newsletter de main de maître ! Bravo à eux pour le travail fourni !

J’ai réalisé pendant longtemps la mise en page du Petit Cormoran mais j’ai passé la main à Claire. J’ai aussi passé beaucoup de temps pour réaliser la mise en page de l’atlas précédent 2003-2005, sur le logiciel Indesign. Je faisais ça sur mon ordi portable pendant le cours de batterie d’Arthur. Le nombre de pages est conséquent et le nombre d’heures de travail aussi.
Je m’occupe toujours de la mise en ligne de la plupart des contenus, même si j’essaie de donner de l’autonomie le plus possible aux divers acteurs.

A partir de 2002, avec Gérard, nous avons lancé un programme de baguage des grands cormorans nicheurs de Chausey et de Saint-Marcouf. Nous avons bagué tous les ans jusqu’en 2018, 64 poussins/an de chaque colonie avec une petite combinaison de bagues colorées permettant leur identification. De nombreuses personnes (merci à elles !) sont venues nous aider sur les îles, à attraper les poussins, les maintenir au calme, dans le noir sous une couverture, pendant que je les baguais le plus rapidement possible, avec l’aide de Fabrice Gallien à Chausey. Nous avons eu de très nombreux contrôles de ces individus et nous sommes en cours d’analyse de ces données, nous avons quelques individus qui sont toujours contrôlés aujourd’hui en France, Espagne, Royaume-Uni ou Hollande.
Le baguage à Chausey se faisait en même temps que le stage de l’Ascension et permettait de profiter de la présence de nombreux “aides”. Tous ces moments sont des souvenirs impérissables pour mes enfants également, qui partagent avec Karine et moi toutes ces expériences uniques.
enfants dans la chariotte. photo Guillaume Debout
enfants dans la chariotte. photo Guillaume Debout
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J’essaie aujourd’hui de refaire plus de terrain et, avec Karine, on a commencé à faire 3 parcours Tendances. Cela permet de constituer une connaissance fine d’un terrain sur le long-terme : je trouve la démarche passionnante et très enrichissante. Elle permet en outre d’échanger et de s’améliorer, surtout au niveau des chants. Je conseille cette enquête pour progresser en chants et augmenter ses propres capacités d’attention. De plus, le suivi à long terme permet de caractériser l’évolution des milieux. Tout le monde pourrait (devrait !) faire ce type de parcours : dans sa ville, village ou même dans son jardin (c’est pour moi l’étape logique qui suit, devrait suivre la participation au GCOJ).
Par l’intermédiaire du site du GONm, je vois la profusion du contenu, tout le monde peut y trouver son compte. Maintenant, tout le monde peut noter ses observations sur Faune-Normandie avec son smartphone, c’est très pratique, les notes sont rapides.

J’observe avec une paire de jumelles Leica achetée avec mon premier salaire de Greenpeace. Et j’ai aussi une ancienne paire de Zeiss venant de Maman (achetée en 1974 !) qui sert à Karine et aux enfants. J’ai aussi une vieille longue-vue de papa, mais elle ne tient plus sur son pied, il faut que je la répare… Mais il est vrai que je suis plus un ornithologue “sans jumelles” (je les oublie 9 fois sur 10), étonnamment, je préfère voir de loin l’ensemble : l’oiseau, le milieu, les lumières autour…

Tes réflexions pour l’avenir :

Je suis arrivé au CA en 2021, à l’invitation des « dinosaures historiques » qui préparent leur suite et l’avenir de manière rationnelle et sérieuse (avec l’aide de Marie-Pascale Coquelle qui mène une réflexion intéressante et bienvenue). Je suis avec d’autres « jeunes » au CA et j’ai fait la demande d’assister aux bureaux (sans voix décisionnelle), mais pour comprendre le fonctionnement du GONm.
Je m’aperçois que la quantité de travail est très importante, qu’il y a une grande diversité de problèmes : fixer et animer le calendrier des études, gérer les ressources humaines, celle des biens immobiliers et des réserves, les rapports avec les différentes administrations… Donc beaucoup de travail, mais passionnant et varié.
Je pense que cela pourrait intéresser beaucoup de monde mais, évidemment, il faut un investissement personnel assez fort et une disponibilité d’esprit. Il y a tellement de choses à faire que beaucoup de personnes pourraient apporter leurs compétences particulières comme par exemple construire des nichoirs, aller sur des sites particuliers, s’investir dans la trésorerie, les expos, les réseaux sociaux, l’animation, l’organisation scientifiques des études, etc.

Je trouve que le GONm fait un travail rigoureux qui est un combat remarquable contre le déclin de la biodiversité et les menaces associées.
L’engagement est important, fort et politique. Il faut l’assurer et le maintenir, c’est une belle façon de s’engager concrètement pour la planète, tout en étant un engagement local avec des résultats visibles. Rejoignez-nous !
Et que vive le GONm !!!
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36 - Mémoires du GONm ; les interviews du 50° anniversaire : Martine Rundle

Message par DEBOUT Claire »

2015 - Beauguillot. Photo J. Alamargot
2015 - Beauguillot. Photo J. Alamargot
2015-Martine et Robin - Beauguillot-photo J Alamargot.png (319.29 Kio) Vu 3878 fois

Voici une interview intéressante à double titre : celle d’une adhérente du GONm qui a bien voulu répondre à mes questions et d’une précurseuse du GONm, puisqu’elle a participé aux balbutiements de l’ornithologie normande, sous son nom de jeune fille, Martine Digo, et a ainsi côtoyé dans la Manche les ornithologues familiers de Mademoiselle Lecourtois. C’est un témoignage rare qu’il fallait assurément avoir dans la mémoire du GONm !


Je suis née Martine Digo en 1951 à Saint-Raphaël, où mon père était en poste comme navigateur d’hydravion à la base aéronavale, mais toute ma famille est de Cherbourg–Equeurdreville, où nous sommes revenus. J’ai donc passé mon enfance à Cherbourg dans une maison dont un mur était mitoyen avec le Parc Emmanuel Liais. J’aimais visiter son musée dont j’avais découvert les collections naturalistes et, dès l’enfance, j’ai développé un intérêt général pour la nature.

Une découverte de la nature pas très « politiquement correcte »

Dans ma famille d’ouvriers, en ces années d’après-guerre, les enfants bénéficiaient d’une grande liberté et, quand les résultats scolaires étaient satisfaisants, une fois les devoirs faits le maitre mot était « allez jouer dehors » et, du moment que nous étions rentrés pour l’heure des repas, tout le monde était content. J’étais alors libre de vagabonder avec mon frère et mon cousin, souvent au bord de la mer qui bordait le jardin de mes grands-parents. C’est là que j’ai rencontré très tôt les ravages de la pollution. Tout près du jardin, un ferrailleur déconstruisait des bateaux dans une décharge à ciel ouvert qui recouvrait les rochers de la côte et se déversait dans la mer. Nous avons fait des glissades mémorables sur la laine de roche entre des bidons suintant des substances pas très nettes et avons récolté de sérieuses démangeaisons. Souvent aussi, à cette époque, nous revenions de la plage avec les pieds et les serviettes « beurrés » de goudron, la pollution par les hydrocarbures battait son pleine et il était fréquent de trouver des oiseaux morts tachés de goudron.
A cette époque, les maires récompensaient avec un peu d’argent ceux qui rapportaient des pattes ou des œufs de pies, considérées comme prédatrices d’autres oiseaux. On était organisés : mon cousin montait en haut de l’arbre, il me passait les œufs dont je remplissais mes poches mais, si d’aventure sur le chemin du retour, un taureau nous coursait et qu’il fallait plonger sous les barbelés, évidemment les œufs étaient brisés … et nous ne récupérions pas beaucoup d’argent de poche. J’ai fait cela pendant au moins deux ans. Les nids de pies étaient plus ou moins hauts et cela semblait dépendre de la force des vents dominants.

Une autre fois, à Tessé-la-Madeleine dans l’Orne, où nous passions nos vacances, j’observe une vipère enroulée. Je la crois morte et la plie soigneusement pour la mettre dans ma poche afin de la donner à mon petit frère. En cours de route, elle bouge… j’enlève vite mon pantalon : la vipère rampe hors de ma poche.

J’avais aussi un oncle chasseur propriétaire d’une petite maison à Liesville-sur-Douve : j’ai appris avec lui à m’approcher au plus près d’un oiseau sans le faire partir, à distinguer les milieux favorables à chaque espèce, j’ai passé beaucoup de temps avec lui à l’affût, cela a été un des volets de ma formation naturaliste. Mais je dois dire aussi que j’ai découvert ces merveilles que sont "Jonathan Livingston, le Goéland" de Richard Bach et "Le merveilleux voyage de Nils Olgersson" à travers la Suède, de Selma Lagerlöf. Ces livres ont baigné mon enfance et ma jeunesse et je les ai relus plusieurs fois depuis.
Ce sont quelques exemples qui montrent combien, enfant, j’étais très en contact avec la nature et je l’observais à chaque occasion qui se présentait.

Je découvre une bande d’ornithologues passionnés, l’ancêtre du GONm… et rate sa naissance !

A quinze ans, J’intègre l’école normale à Coutances et, en première année, mon professeur de sciences naturelles Alain Ferry nous propose de suivre un stage de baguage dans la Manche aux vacances de la Toussaint. Je suis la seule partante. C’est là, à Saint-Martin-de-Bréhal, que j’entre dans l’équipe de Mademoiselle Lecourtois et Alain Typlot. Quel émerveillement ! Les doigts dans la plume ! Toucher les oiseaux, sentir le cœur qui bat et qui va se calmer quand on le manipule bien, ce fut la découverte de ma vie. Et, après l’avoir bagué quelle émotion d’ouvrir la main et de laisser s’envoler l’oiseau ! Comme j’avais appris de mon oncle à imiter les chants et cris d’oiseaux, j’imitais le chant du coucou au printemps pour tenter de l’attirer dans les filets, au grand bonheur d’Alain Typlot qui a pu en baguer plusieurs de cette façon. J’ai tenté de m’initier à la botanique, à la minéralogie, mais non, cela ne m’allait pas. Pourtant, Mademoiselle Lecourtois n’était pas qu’ornithologue, elle était une naturaliste au sens large et même… culinaire : elle nous avait ainsi cuisiné du chou marin (maintenant plante protégée) mais qui, à l’époque, était vendu sur le marché à Cherbourg.

Finalement, je suis allée trois fois par an à tous les stages encadrés par Lucienne Lecourtois : Vauville, Biville, Omonville, Gattemare ; elle connaissait le gardien de phare et récupérait les oiseaux assommés contre la lanterne du phare lors des collisions nocturnes des migrateurs, on en avait… des caisses ! Quand ils étaient encore vivants, on les baguait et, s’ils étaient morts, on les observait en les détaillant.

A Vauville, on campait dans les dunes près du chemin qui longeait la mare ; nous y avons entendu le butor étoilé. J’ai aidé l’abbé Tiphaine, de Teurthéville-Hague, à installer sa bibliothèque naturaliste, c’était un naturaliste passionné, surtout féru de botanique. Alain Typlot et lui avaient découvert dans un ouvrage du XIXème la mention d’une fougère arborescente sur un îlot de la mare ; c’est avec eux deux que, sur un canoë pneumatique, on a abordé une île dans la roselière pour la chercher, mais sans succès. Par contre, nous nous sommes envasés et j’ai dû pousser le canoë pour nous dégager. Ils ont fait l’inventaire botanique de la mare et des dunes de Vauville, dont la fameuse Rosa pimpinellifolia.

Alors que j’étais en deuxième année d’école normale à Coutances j’ai, deux ans de suite, fait un stage ornithologique dans les Alpes pendant trois semaines, au col de la Golèze près de Samoëns. J'y côtoie des scientifiques, on fait le bilan chaque soir avec les noms d’oiseaux en latin, on poinçonne des fiches cartonnées qu’on lie et classe ensuite avec un système d’aiguilles et on fait des statistiques (Bruno Scherrer qui s’occupait de ces stages était un statisticien). Ainsi, j’ai appris à bien identifier les oiseaux, à bien observer les différents plumages, à mesurer leur adiposité en fonction des stades de la migration et j’ai été chargée à mon retour, par Mlle Lecourtois, de faire un compte-rendu sur l’étude des différents plumages du stade juvénile, immature jusqu’à la mue. Toujours à la Golèze, on a étudié la migration nocturne des syrphes en collaboration avec une équipe italo-belge qui se tenait sur un autre col. On capturait d’abord les insectes dans de grandes nasses en filet qui les orientait vers une grande cage ; on les prenait ensuite un par un avec une pipette pour les marquer en déposant une goutte de peinture sensible aux UV. Les syrphes étaient ensuite relâchés et l’équipe qui était sur l’autre col attendait qu’ils arrivent et les repérait grâce aux lampes ultraviolettes qu’on allumait ; on voyait alors arriver face à nous des nuages de point violets qui étaient autant de petites « lucioles » qu’il fallait compter pour déterminer leur temps de déplacement. C’était une ambiance assez magique.

Le baguage était intense parfois, en cas de migration massive comme nous en avons connu, de mésanges charbonnières ; il fallait baisser les filets, les tours des ongles en sang, piqués encore et encore par de petits becs combatifs, débordés par le nombre, on n’y arrivait plus. Les ramasseurs savaient qu’il fallait se méfier des gros-becs cassenoyaux, ils pinçaient dur. Mais on a eu aussi des chauves-souris et même des vaches dans les filets. Mais quel plaisir de baguer un torcol ou une chouette de Tengmalm !

Toujours sur ce col, avec d’énormes paraboles dirigées vers différentes hauteurs, on enregistrait les cris des oiseaux migrateurs la nuit. Le lendemain, pendant la journée, l’un de nous était affecté à l’écoute des enregistrements de la nuit précédente, pour déterminer quels étaient les migrateurs qui étaient passés et à quelle altitude ils le faisaient.
On passait aussi beaucoup de temps, toutes les nuits à tour de rôle, à l’écoute des oiseaux nocturnes du col et, une fois, au responsable du stage qui me demande : "comment ça va ?", je réponds que toute la soirée quelqu’un n’a pas arrêté de tronçonner, c’était vraiment gênant. Il reste à écouter avec moi et me dit que c’est un engoulevent ! Une découverte pour moi.

Dès 16 ans, j’ai lu mon Peterson (reçu en cadeau de Noël) sur lequel je cochais les noms des oiseaux vus . Plus tard, je découvre les Géroudet pour les passereaux et les rapaces et le livre de Read et Hosking sur les oiseaux, leurs nids et leurs œufs. J’ai aussi aimé le fameux livre de Jean Dorst sur la migration des oiseaux. Et puis encore, en 1969, inscrite à la SEPNBC, à 18 ans, je reçois Penn Ar Bed quatre fois par an.

J’ai aussi parcouru les plages pour récupérer les oiseaux échoués et on remplissait des fiches élaborées par la SEPNBC qui, au final, étaient destinées au GOR de Caen (le Groupe ornithologique régional de Caen, qui a précédé le GONm).
C’est à cette époque que j’ai connu Jacques Alamargot avec son « bébé » grand corbeau. Blotti dans un vieux pull il ressemblait à un paquet d’aiguilles à tricoter avec ses grandes plumes en train de pousser. Quel appétit il avait… Le baguage des cormorans huppés au bout du Nez-de-Jobourg était mémorable : on descendait en baskets sur des rochers glissants de fientes, dominant les courants parmi les plus forts d’Europe. Les nids étaient envahis de tiques. Les oiseaux nous paraissaient très affaiblis et, pour les aider, on nous avait dit de pulvériser de l’insecticide sous leurs ailes… De retour au camp de base à Vauville, il nous fallait ensuite nous débarrasser des tiques qui s’étaient accrochées à nous.

A la fin de la prépa au Lycée Malherbe à Caen, j’ai passé le concours d’entrée à l’École normale supérieure et je suis partie en région parisienne au moment où le GONm était créé ; j’ai donc côtoyé une partie de ses créateurs, mais n’ai ni assisté, ni participé à sa naissance. Trop prise par mes études en vue de préparer l’agrégation de lettres modernes, puis par ma famille et la découverte de mon métier d’enseignante, j’ai complètement arrêté l’ornithologie. Je ne l’ai reprise que bien plus tard avec Robin et je ne me suis inscrite avec lui au GONm qu’à la fin de années 80.

Une petite pierre à l’édifice

Avec Robin, j’ai participé au comptage des oiseaux échoués, aux parcours Tendances, aux animations concertées autour de Ouistreham, nous avons tenu ensemble des stands représentant le GONm en plusieurs occasions, fait du nettoyage à la réserve de Vauville, dans la baie d’Orne et à la Pointe du Siège, nous partageons la paternité du GCOJ et avons fait de nombreuses animations pour initier à la reconnaissance des oiseaux des jardins dans l’école primaire de Ouistreham et au musée de la nature de Caen.
J’ai eu parfois, malheureusement trop rarement, l’occasion de remettre les doigts dans la plume lors de séances de baguage avec Joël Pigeon ou à Carolles. Je suis toujours passionnée par la migration et par l’observation à l’affût, pas forcément cachée mais immobile. Je me souviens d’Alain Typlot qui, observant un oiseau posé sur un affût de chasseur, s’est ensuite rendu compte que l’oiseau était venu, en fait, se poser sur moi ! j’ai un grand intérêt pour ce genre de contact. Personnellement, je ne trouve pas de plaisir à faire des comptages mais je me suis aperçue au fil des ans qu’ils sont indispensables pour le suivi des variations des espèces et d’un grand poids pour mettre en place des mesures de protection ou justifier la création de réserves.

Je suis fondamentalement une littéraire et donc je me considère un peu comme une bizarrerie dans ce monde ornithologique et je suis apparemment une des rares femmes du GONm qui a accepté de jouer le jeu de l’interview. Il y a pourtant beaucoup de femmes très actives au GONm, dont les parcours et la variété des engagements mériteraient d’être mis en lumière et intéresseraient les autres adhérents qui, à un moment ou un autre, les ont côtoyées. Moi, je ne fais rien de spécial, mon imprégnation ornithologique est importante mais, je n’existe au GONm qu’avec Robin. Et la mise en place du Grand Comptage des Oiseaux du Jardin a été une grande satisfaction pour nous deux : mettre en relation des experts et le grand public attiré par les oiseaux, faire de nombreuses animations, tenir des stands, informer, nous a pris beaucoup de temps mais nous a aussi permis de rencontrer beaucoup de personnes très intéressantes. Cela a été un grand plaisir de voir cette belle aventure plébiscitée par les Normands, puis reprise par la Bretagne, puis la France entière, par le biais de la LPO, et de la savoir promise à un bel avenir grâce à la relève de jeunes passionnés !

Et maintenant ? L’avifaune a-t-elle beaucoup changé ?

J’ai découvert l’avifaune normande spontanément dans les années soixante et maintenant en regardant un peu en arrière, est-ce que le Cotentin a beaucoup changé ? Y a-t’il moins d’oiseaux ? Je crois que oui. Je ne vois pas autant de coucous en phase rousse et je vois bien moins d’hirondelles posées sur les fils en fin d’été. Par contre, des oiseaux sont apparus dans la région comme la bouscarle de Cetti, le héron pourpré, le héron garde-bœufs ou la grande aigrette qu’on n’aurait jamais imaginé voir au nord de la Loire et qui sont maintenant presque considérés comme des oiseaux communs.

Je me souviens qu’enfant je voyais quelquefois des ventes de bouvreuils et de chardonnerets sur les marchés de Cherbourg. Heureusement, c’est fini et, aujourd’hui, nous prenons plaisir à les contacter presque à chacune des sorties que nous faisons à la Pointe du Siège à Ouistreham. Les rossignols qu’écoutait ma grand-mère à Equeurdreville à la veille de la 2ème guerre mondiale n’y chantent plus mais enchantent les soirées printanières de la Pointe du Siège, l’engoulevent est revenu dans les dunes de Merville. Les grandes marées noires sont du passé (je l’espère), on ne trouve plus de boulettes de goudron sur les plages mais la pollution a pris d’autres aspects, moins visibles mais tout aussi nocifs avec l’invasion des plastiques, plutôt rares dans mon enfance.

Le tourisme de masse, méconnaissant souvent les règles de vie et de comportement adaptées à chaque milieu, met une pression non négligeable sur les espaces naturels. La vigilance du GONm et l’engagement de ses adhérents est, plus que jamais, d’actualité !
Claire DEBOUT
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37 -MÉMOIRE DU GONm : les interviews du 50° anniversaire : Gaston Moreau

Message par DEBOUT Claire »

découverte du nid de canard pilet. Photo G. Debout
découverte du nid de canard pilet. Photo G. Debout
Le marais du Rivage-1984- nid de canard pilet. photo G Debout.jpg (125.98 Kio) Vu 3646 fois

Gaston Moreau, un des fondateurs du GONm avec Bernard Braillon (1933-1986), a livré ses souvenirs à Jean-Marc Savigny et Bruno Lang lors de deux visites au Mage en 2017. Jean-Marc a bien voulu me transmettre les enregistrements de ces entretiens afin de faire une synthèse de leurs échanges et d’en construire une interview précieuse.
J’ai donc rédigé un texte que j’ai adressé à M. et Mme Moreau pour qu’ils le corrigent et le complètent. C’est ce qu’ils ont fait avec l’aide de leurs enfants. Je tiens donc remercier M et Mme Moreau, leurs enfants, Jean-Marc Savigny et Bruno Lang.


Souvenirs naturalistes de Gaston Moreau

Je suis né en 1924, à Melleray, bourg sarthois dans les dernières collines du Perche Sud.
Beaucoup de liberté dans le village. Tout le monde se connait. En 1932, décès de mon père. Peu de changement pour moi. Un peu plus de liberté peut être. Maman est plus occupée. Pourtant le premier ouvrier de Papa dirige maintenant l’atelier (menuisier-charron). Je continue mes prospections. En 1936, une décision importante s’impose. Le Certificat d’Etudes est passé. Que vais-je faire ? Maman décide d’aller habiter à la Ferté-Bernard pour que je puisse continuer des études. Le but ? Devenir instituteur.
La vie est alors différente et le sport va occuper tous mes loisirs. En 1940, Maman décède brusquement une nuit. Ma sœur (19 ans) quitte son travail de bureau et décide de la remplacer : un commerce de lingerie et 2 frères à charge…
En 1941, je réussis le Concours d’entrée à l’Ecole Normale d’instituteurs à Alençon. Le sport garde sa place (capitaine de l’équipe de basket et de foot) et ce jusqu’à mon mariage en 1946.
Mon épouse, sans en avoir l’air, est très curieuse de nature et très ordonnée dans ses recherches. Par conséquent, elle m’appuyait toujours. Devenus tous deux instituteurs, en campagne, je commence à sortir au printemps tous les matins de 6 h à 8 h et c’est là que j’ai vu beaucoup de choses. Entre autres, je me souviens des libellules naissantes en train de déployer leurs ailes transparentes. Quand je repassais à 8 h déjà des teintes apparaissaient. Ce sont des choses fantastiques qui marquent, cette transformation entre le lever du jour et le plein soleil.

Les débuts comme ornithologue et photographe

Lorsque j’ai commencé à m’occuper d’oiseaux, je me suis affilié à un groupe national, mais surtout parisien, le Groupe des jeunes ornithologues, avec André Labitte (architecte et ornithologue 1890-1964).
Dans ce groupe de jeunes ornithologues français, il y avait François Spitz, Pierre Nicolau-Guillaumet qui était axé sur la Bretagne, André Labitte tourné vers Ouessant, Michel-Hervé Julien (passages) et Robert-Daniel Etchecopar (1905-1990, Directeur du CRMMO). Ils ont créé le Centre de Baguage. J’ai passé mon permis de baguage en 1960. J’étais donc bien inséré dans ce réseau national. Labitte, m’a demandé de venir le voir après avoir lu un article que j’avais publié sur le pipit des arbres dans le cadre du Groupe. Il m’a terriblement encouragé, même avec ce gros mensonge : « vous êtes parmi les 10 personnes qui connaissent le mieux les oiseaux en France ». Ce n’était certainement pas vrai. Labitte, qui était de Mézières-en-Drouais, m’a alors pris sous son aile et m’a dit : il faut revenir me voir, etc. etc., si bien qu’il est venu chez nous au Mage plusieurs fois ; il était spécialisé dans le pipit des arbres et le torcol. Il m’a donné beaucoup de conseils, faisait beaucoup de photos en noir et blanc. Personnellement, je me suis tourné vers les diapositives couleurs et j’ai actuellement plus de 3 000 photos que j’ai classées récemment.

J’ai en tout 1300 photos avec dates et lieux dans 4 ou 5 albums. Depuis que je les ai reclassées, j’ai revécu beaucoup de souvenirs. C’est fantastique ! On a parfois l’impression que la mémoire a effacé beaucoup de choses mais ce n’est pas vrai… elle a effacé des noms propres mais les lieux, je les revois très très bien.
Pour les photos, je grimpais beaucoup aux arbres, je faisais des affûts. On voit bien quand il se passe des choses en dessous, les oiseaux vous ignorent. J’ai eu un coucou qui s’est perché sur mon épaule !

Autre expérience : avec les martins-pêcheurs, je faisais des photos avec un affût dans une cabane. Je l’entendais qui marchait au-dessus avant d’aller à son nid … je regarde par un jour dans une planchette, on avait l’œil à deux centimètres l’un de l’autre. Lui, il n’a jamais su ce que c’était, mais moi je savais.
Quand on fait des photos on est étonné. Je note les choses amusantes, pas que scientifiques. Notamment, je regardais le râle d’eau qui est peu étudié. Il l’a été par moi (mais Stéphane Lecocq a fait beaucoup plus depuis). J’étais à 1,5 m à peine, j’avais une botte de roseaux que je mettais et que j’enlevais … je laissais la femelle s’installer pour observer le rapport entre les deux partenaires. Quand le mâle faisait « pouic pouic pouic » la femelle ne bougeait plus. Alors qu’on suppose que, quand elle couve, elle s’en moque … mais pas du tout. Elle se raidit et ne bouge plus du tout. Tout cela a été réalisé spontanément et avec plaisir : je me suis beaucoup amusé à regarder les animaux vivre et à découvrir le maximum de nids.

Comment s’est fait le passage du « Groupe parisien » au Groupe normand ?

B. Braillon était comme moi au Groupe des jeunes ornithologues « parisiens ». Il est venu me voir et avait plaisir à m’entendre parler de mes nombreuses recherches avec Serge Boutinot (1923-2017) sur les ilots de Bretagne ou les Iles Chausey. Bernard Braillon travaillait surtout dans les Pyrénées : lui, c’était les rapaces ! Il nous a emmenés dans les Pyrénées occidentales et j’ai 150 photos d’une curée de vautours posés à 20 mètres, vautours fauves et un percnoptère. Nous avons vu tout le cérémonial : d’abord arrive le grand corbeau, puis le percnoptère. Les vautours fauves n’arrivent qu’après. Nous étions enfermés à 6 dans une petite cabane (caylar) toute la journée. Difficile promiscuité.
Il y avait avec nous un ami de Braillon, Bernard Bernier. Dès 1969, nous entreprîmes des expéditions communes pour les percnoptères et les pics à dos blanc autour du col de Larrau. A son retour du Sud-Ouest, Braillon aimait séjourner quelques jours chez nous, pour y enrichir ses connaissances sur les passereaux du bocage percheron.

Vers 1968, B. Braillon nous réunit avec Jean Collette chez Melle Le Romain : il a en tête une idée de Groupe Ornithologique Normand. Après mon exposé et avec le concours de MM Bazin, Bloquel, Duchon, Saussey et Mademoiselle Lecourtois, fut créé le Groupe Ornithologique Régional à l’Université de Caen. Quatre années plus tard, sous l’impulsion de jeunes enseignants tels que G Debout, B Lang, A. Chartier etc. cette formation s’établit sur des structures légales et devient le GONm avec une revue : Le Cormoran.
A propos de cormoran, je me souviens de notre émotion lorsque nous avons vu ensemble, Braillon et moi le 1er cormoran à l’étang des Personnes, au Mage. Sa multiplication nous a, par la suite, posé parfois quelques problèmes.

Gaston Moreau a beaucoup étudié la nidification en recherchant les nids, en posant des nichoirs et grâce au baguage.

C’est vrai, ma recherche a été principalement axée sur les nids. Jusqu’à 12 ans, je n’ai pas quitté mon village natal. Et là, la municipalité félicitait et récompensait les dénicheurs des oiseaux dits « nuisibles » : pies, corneilles et corbeaux. Entre 8 et 12 ans, ce fut mon occupation préférée. Peut-être est-ce là qu’est né mon intérêt pour les nids. Un oiseau qui chantait, c’était pour moi, le besoin de trouver son nid. On ne touchait pas aux petits oiseaux : fauvettes, pinsons, etc.
Notre arrivée au Mage a été pour moi très bénéfique. Une grande propriété, Feillet (prononcez Feuillet, son ruisseau est la Feuillée) m’a été ouverte en toute liberté. Le régisseur était le Maire de la commune et moi le secrétaire de mairie. En 1956, une invasion de chenilles inquiète les propriétaires forestiers. Des chênes meurent debout. Le régisseur, ingénieur des forêts me met au courant : M. Aubertin, le propriétaire, envisage une pulvérisation d’insecticide en hélicoptère. Est-ce qu’une pose importante de nichoirs serait efficace ? Evidemment vous devinez ma réponse. A l’époque, il y avait de nombreux ouvriers permanents à Feillet, dont un mécanicien et un menuisier qui m’ont bien aidé. Nous avons posé 200 nichoirs pour insectivores et les arbres ont été sauvés, alors que des propriétés voisines ont beaucoup souffert. Cela m’a valu la médaille du Mérite agricole … Mon impression : à la Foire de la Ferté-Bernard, on faisait défiler les chevaux décorés … alors je me suis vu en cheval galopant. Actuellement, il reste 2 employés à demeure à Feillet. Avec mes enfants, nous maintenons en état et contrôlons encore tous les ans 100 nichoirs.

J’ai vu les modifications de l’avifaune liés au changement d’agriculture dans le Perche ; ils ne sont pas flagrants. Il y a des gros îlots de grandes terres et des petites terres peu cultivées. Des herbages labourés sur les pentes mais il existe aussi des refuges. On a vu disparaître le moineau friquet avec les vieux pommiers, mais la faune ornithologique baisse moins que la faune rampante. Plus une seule vipère depuis 10 ans. Les hérissons disparaissent, baisse des grenouilles et des crapauds, par contre les rainettes ne se défendent pas mal et on a un problème avec les blaireaux. Je suis plus optimiste (optimisme relatif) que Michel Saussey qui vivait dans un secteur du Cotentin qui avait beaucoup changé.

En fait, ma recherche a été principalement axée sur les nids. J’ai trouvé des nids de 90 % des espèces françaises. Par exemple, la locustelle luscinioïde : je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’ornithologues qui aient trouvé autant de nids de cette espèce que moi ! Sur la cisticole aussi c’est amusant : Auguste Sanson (agriculteur ornithologue, 1933-2011) me signale un oiseau qui faisait un tel bruit ; je suis allé chez lui (à Omonville dans la Hague) où il vivait alors avec sa sœur. C’est à Auderville qu’on l’entend et, en effet, personne ne trouvait le nid. Ce nid est difficile à trouver pour deux raisons, l’oiseau bouge beaucoup puis ensuite il se glisse dans l’herbe. Vers 14 h, je l’ai trouvé, il y avait cinq œufs très clairs.
J’avais mené une autre recherche sur la mésange à moustaches (appelée panure aujourd’hui) ; Bernard Braillon m’avait demandé de trouver un nid. A Ver-sur-Mer en 1976-77 on avait mis en cercle les gens tout autour de la zone où on pensait qu’elle nichait. Et là, il y a quelque chose d’amusant : à côté de moi, il y avait un jeune homme (c’était un chirurgien de l’université), et je lui dis attention : tu me suis … et nous marchons parallèlement. Premier essai, échec. Deuxième essai, on l’a trouvé !

Pour bien chercher les nids, il faut penser comme l’oiseau et il y a une question d’expérience au départ. Il faut peut-être avoir un certain sens pour trouver les nids, mais ça s’apprend aussi dans les livres : il faut travailler la question. Peterson a sorti son guide en 1956 (1ère édition) et nous l’avons acheté en 1960. J’ai aussi connu Géroudet, charmant, qui a écrit des livres simples qui m’ont bien aidé, Robert Hainard faisait les illustrations, je les ai vus plusieurs fois au colloque francophone à Paris. Mais, au début, on découvre souvent tout seul, par exemple les nids de fauvettes, même en étant gamin on en trouve pas mal quand on traine dans les buissons ; la première expérience c’est ça, c’est l’expérience du dénicheur. Il y a quand même un sens particulier de l’observation … il me faut bien avouer que je l’ai. Dans un secteur donné, si un oiseau chante là, le nid doit être là parce que cet endroit-là est un peu spécial. A partir de 150 de mes nids de fauvette à tête noire, Bruno Lang a fait un bon article : lui écrit mais moi je n’écris pas. J’écris chez moi … j’ai des cahiers qui sont remplis de notes. La recherche dans la nature, c’est cela qui procure du bonheur et ce n’est pas la publication … mais quand on publie … on n’est quand même pas fâché.

Un ornithologue, Jean Paul Baudoin (du côté de Mamers) entendait des grimpereaux des bois en forêt de Réno-Valdieu. Avec Braillon, on s’est dit qu’il devait y en avoir en Normandie. Nous avons trouvé un nid et j’ai pris l’oiseau au filet … Il y a bien du grimpereau des bois… à ce moment-là j’ai fait venir le spécialiste des enregistrements, Claude Chappuis. Il est venu avec moi et a confirmé que c’était bien un grimpereau des bois. On l’a ensuite trouvé dans les forêts du Perche, en forêt de Bellême et en forêt de Réno. Bruno Lang a une oreille +++ sauf pour le grimpereau des bois. J’ai aussi fait une étude sur 150 nids de pouillot siffleur, à raison de 30 nids par an pendant 5 ans dans le même secteur de 10 ha à peu près. J’en ai conclu qu’il fallait des terrains en pente pour l’implantation des nids (avec une ouverture sur le côté et vers le bas). Exception : un nid en terrain plat mais sous un grand chêne, le nid formait un petit dôme dans la petite pente créée par les racines.

Mes filles se défendent pas mal. Notre record à tous les 3 fut, sur une rangée de genêts de 100 m de long où nous avons trouvé 41 nids. Quant à mon fils, il m’aidait partout avec compétence et son art de grimper. Je suis allé aussi aider à la recherche de nids dans d’autres secteurs, les marais de Carentan, par exemple, à l’occasion d’un stage avec le GONm à La Haye-du-Puits en 1981. Avec Bruno Lang et Gérard Debout, nous avons trouvé des nids de barge à queue noire, de canard pilet et de courlis cendré. J’ai également trouvé le 1er nid de grue cendrée dans le Perche en 1984, après 100 ans d’absence. Je suis allé aussi chercher le nid de la fauvette à lunettes au plateau de Valensole dont Alain Chartier m’avait parlé en 2015. Dans les lavandins, j’ai trouvé 2 nids que j’ai photographiés. J’ai vu le merle de roche et trouvé le nid du traquet rieur dans les Albères, fait de petits cailloux dans un muret avec 4 jeunes et un œuf, j’ai aussi la photo !

Les nichoirs

Est-ce que les oiseaux débarrassent toujours les nids des fientes ? Par expérience : je dis oui. Au départ les fientes sont très petites et les parents les mangent. Est-ce que les nichoirs doivent être dissimulés, faut-il les camoufler ? Moi, j’ai mis les nichoirs directement sur l’arbre lui-même (pour les pics), ou sur des poteaux près de l’arbre pour les mésanges. J’en pose depuis 1954 et on modifie constamment pour essayer de résoudre les problèmes de prédation. Par exemple, nous avons de gros problèmes avec les lérots qui sont des bouffeurs terribles des nids de rougequeue à front blanc et de rougequeue noir, sur les poutres dans les maisons et dans les nichoirs.

J’ai publié dans Alauda ou dans l’Oiseau et la Revue française d’ornithologie (ORFO). J’ai publié une première étude sur le « sommeil des oiseaux » : ça n’avait pas beaucoup été fait et donc, avec mon fils, nous avons travaillé de nombreuses nuits pour regarder si les oiseaux utilisaient les nichoirs la nuit : l’étude a porté plus particulièrement sur les pics. On a vu leur utilisation par le pic mar, le pic épeiche, mais pas de pic noir (il n’était pas là à l’époque). Il me faudrait faire une synthèse des nichoirs, oui il faut que je la fasse, je devrais me fixer un délai, par exemple pour un article en 2018 dans le Cormoran ? mais il faut que ma femme m’aide, je suis trop vieux !

Le baguage

Pendant que je faisais classe, Braillon prenait mon vélo et allait dans la forêt. Il était très fort sur les oiseaux de montagne, il ne s’intéressait pas trop aux nids : lui, c’étaient les gros oiseaux. Mais il a créé les fiches de nid parce qu’au bout d’un moment on bute sur le nid. C’est le départ d’une nouvelle génération. Et puis le baguage nous incite à ça : à l’époque on pouvait baguer les oiseaux au nid et ma plus belle réussite c’est un pouillot fitis que j’ai bagué au nid et qui a été repris au Nigéria. Il s’en est suivi un échange entre les écoliers d’Afrique et ceux du Mage.
Le baguage s’est développé en 1950 à peu près et moi j’ai commencé à baguer en 1960. C’était du baguage au filet. J’ai d’abord bagué surtout avec Boutinot, au bord de la mer avec ses bagues. Après j’ai connu M. Saussey, un homme remarquable par sa gentillesse et sa simplicité. Il a repris et contrôlé dans la Manche un merle qu’on avait bagué ici. On s’est beaucoup appréciés.
Gaston Moreau et Lucienne Lecourtois
Gaston Moreau et Lucienne Lecourtois
Camp de baguage-Ouessant-1960.png (443.29 Kio) Vu 3646 fois
J’aimais bien baguer au nid, car on a le départ de la vie de l’oiseau. J’ai commencé le STOC capture début 1989 et arrêté fin 2015. Trois équipes surveillaient 36 filets de 12 m sur 8 ha, au Mage, 3 sessions chaque année d’avril-mai à juillet. Un énorme merci à notre ami Philippe Ollivier, bagueur dévoué et compétent. Les données sont envoyées au CRBPO. Je partageais cette passion avec mon épouse. Nous sommes restés amateurs toute notre vie, avec plaisir. J’ai bagué plus de 15 000 oiseaux et j’en profite aussi pour remercier ma famille.

Histoires expérimentales : nidifications parasites

Avec Philippe Gramet de l’INRA, on avait observé la faculté du coucou de pondre chez les autres et par conséquent étudié le fait que les autres oiseaux acceptent ses œufs. L’œuf de coucou est nettement plus gros, et il y a la question de la masse des œufs : les oiseaux qui faisaient 5 œufs gros en acceptaient 7 moyens. L’inverse est faux : l’oiseau considère sans doute qu’il y a un volume suffisant. J’en ai discuté avec Labitte qui travaillait sur une collection d’œufs de coucou qui avaient presque tous été pris dans des nids d’effarvatte, par un spécialiste du genre qui ne faisait presque que cela, il avait 350 œufs de coucou ; dans le Nord, il y a beaucoup de nids d’effarvattes qui sont parasités alors que chez nous il est plus difficile de trouver des œufs de coucou. J’en ai trouvé 20 dans ma vie dans au moins 8 espèces différentes. Un qui était vraiment rebelle, c’est le bruant des roseaux, qui n’est pas un insectivore et n’a pas accepté les œufs de coucou ; par contre, les autres espèces ont toutes accepté.
J’ai trouvé du coucou 7 ou 8 fois chez la bergeronnette, 4 fois chez le troglodyte. Ah oui ! J’ai une photo sensationnelle où le petit troglodyte est si petit qu’il se perche sur le bec du poussin de coucou pour le nourrir. La plus grande question qui est posée, c’est la taille du nid du troglodyte : il est vraisemblable que le coucou a pondu au sol et mis l’œuf dans le nid avec son bec. C’est même une certitude, mais après le petit coucou qui se développe écrase le nid et, à ce moment-là, beaucoup échouent.
J’ai eu aussi un nid de bergeronnette parasité dans les carex et il y avait à côté un phragmite des joncs qui avait fait son nid à 50 cm de celui de la bergeronnette. J’ai vu les phragmites tellement attirées par l’ouverture du bec (du coucou) qu’ils venaient eux aussi le nourrir. La gorge du poussin de coucou est un puissant stimulus, les deux espèces nourrissaient le coucou, l’hôte parasité et le voisin. J’ai même vu des jeunes qui aidaient à nourrir et ça c’est peu connu. Cela existerait aussi chez les hirondelles.

Collaborations

Quand, à 25 ans, une sommité comme Labitte vous dit que ce que vous faites c’est bien, on est encouragé. Labitte ne s’intéressait pas aux insectes, c’était dommage car son père avait une collection d’insectes fantastique. Lui avait une collection d’oiseaux et d’œufs. Les ornithologues à l’époque étaient tous des ramasseurs d’œufs … même de la ponte, comme Perrin de Brichambaut (1920-2007). J’ai commencé aussi comme cela mais j’ai arrêté tout de suite, cela ne m’intéressait pas vraiment. Je veux bien avoir un spécimen ou des photos.
De Brichambaut voulait des pontes complètes, il achetait des collections ; moi je lui envoyais mes surplus, comme une ponte complète de râle d’eau abandonnée. Il n’avait pas d’œuf de cassenoix, j’ai trouvé un nid de cassenoix moucheté mais … vide.
J’aurais pu avoir 10 000 œufs de mésanges, (je ne ramassais que les œufs clairs …) j’en ai 7. J’ai trouvé 300 nids de fauvettes à 5 œufs, rien que les œufs clairs … j’en ai 5. Ce qui m’intéressait c’était d’avoir un spécimen.
Il y a un intérêt majeur des pontes complètes : quand on entrait chez de Brichambaut ou chez Labitte, vous aviez un étalage d’œufs absolument fantastique, c’est très beau. J’ai eu la chance de tomber dans un milieu de collectionneurs qui m’ont introduit dans des lieux des Alpes, des Pyrénées etc. Ils connaissaient les bons coins. De Brichambaut a donné sa collection au Muséum de Toulouse, il est mort en 2007.

J‘ai oublié de parler de Boutinot. Il avait écrit un petit bouquin, on s’était écrit et on était devenu de très grands amis. On était allés jusqu’en Laponie ensemble. Sa jolie femme était une écologiste pure, devenue présidente du ROC (Rassemblement anti-chasse). Boutinot était enjoué, ambitieux, blagueur, intelligent, on s’entendait bien pour faire des blagues de gamin. Je l’avais rencontré sur les côtes bretonnes, puis en Normandie. A Chausey, on avait trouvé plus de cartouches vides que de cormorans huppés. On avait fait des recherches communes de lagopède, des recherches de nid de grand-duc avec Braillon, mais j’ai quand même souvent travaillé seul.
J’ai connu Georges Guichard, préfet à Paris, avec Labitte. Il savait reconnaître les plumes en particulier sur les aérodromes : c’était un chercheur de nids. Il a donné sa collection d’œufs à de Brichambaut : 2 pièces complètes de tiroirs. Labitte m’a offert sa collection d’oiseaux, j’ai refusé sauf une boite d’oiseaux en peau retournée, qui viennent de l’Eure. Je l’ai montrée à Philippe Ollivier.

Etudiants

J’ai aidé un ingénieur de l’INRA, Gramet, à faire une thèse sur les corbeaux. Quand il est arrivé ici, il ne connaissait rien. Quand il a fini sa thèse, il a écrit un bouquin sur « Comment reconnaitre les oiseaux ». Il était très reconnaissant. Quand il allait au bord de la mer, il nous ramenait toujours du poisson, parfois une langouste. Il est mort jeune, sa femme aussi.
D’autres ont été moins chaleureux, j’entends au point de vue relations. Ils sont venus faire des recherches ici et je n’ai jamais eu de compte-rendu.

Recherches et études botaniques

On a fait pas mal de botanique, surtout ma femme. On a découvert plusieurs sites. L’administration s’y est intéressée. Avec Michel Provost, qui venait ici comme chez lui, on a exploré la moitié Est du département pour le recensement des plantes sauvages dans l’Orne : 50 000 données. On avait de bonnes relations. On travaillait dans de grandes propriétés privées, en leur expliquant ce que l’on faisait ; on a toujours été bien reçus. Peut-être que notre âge comptait, on avait 60-70 ans.
Gaston et Jeanne chez eux au Mage - 2016
Gaston et Jeanne chez eux au Mage - 2016

Jean-Marc Savigny accompagne alors Gaston Moreau dans les pièces d’archives pour découvrir sa bibliothèque et ses collections

J’ai de très vieilles revues d’avant 1960, comme mon article paru dans ORFO en 1957, des articles de Labitte sur les pipits, le mien sur le pipit des arbres, des numéros de la revue des jeunes ornithologues, des extraits du Chasseur français car j’étais très intéressé par les chiens de chasse. Ma littérature ornithologique est bien classée par ordre alphabétique. J’ai la collection du Courrier de la Nature, La Terre et la Vie, le Bulletin d’écologie, des revues botaniques aussi. J’ai la thèse de Gramet faite ici, et un ouvrage offert par Labitte, « Je vous le prête vous me le rendrez plus tard », il m’aurait tout donné !

La collection d’œufs locale de l’Orne est classée. La classification suit l’ordre systématique : grèbes, spatules, j’ai trouvé moi-même 20 nids de grèbe et ne garde que les œufs clairs. J’ai eu un œuf de grand cormoran, c’est beau mais il faut les vider ! des œufs de canards dont des sarcelles. Des restes de coquilles d’œufs de grues. Un œuf de faucon hobereau que j’ai pris car je n ‘en avais pas. Des œufs de courlis cendré, donnés par Boutinot, beaucoup de nids abandonnés où il reste des œufs ; on n’abîme pas la nature. Mais aussi des œufs de bruants, un œuf de bruant zizi magnifique, jaune, à se demander comment sont créées les taches ! Cela se colore « en route » c’est très beau. On passerait des heures à les regarder.


Note de la rédactrice
Gaston tient à remercier tous ses amis normands et spécialement les anciens : Bernard Braillon, Michel Saussey, Roger Brun et tous les plus jeunes qui militent encore pour le GONm tels que Jean Collette et les familles Lang, Debout, Chartier, Ollivier, etc… et demande à tous ceux qu’il oublie de bien vouloir l’en excuser (les ans en sont la cause).
Je me dois aussi de remercier la famille Moreau pour sa coopération précieuse et pour les photos de Ouessant et du Mage.
Claire DEBOUT
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38 -MÉMOIRE DU GONm : les interviews du 50° anniversaire : Alyssia Duchesney

Message par DEBOUT Claire »

Baie d'Orne - baguage juin 2020 - photo J Jean Baptiste
Baie d'Orne - baguage juin 2020 - photo J Jean Baptiste
Alyssia Duchesney m’a abordée lors de notre table-ronde à Caen le 9 décembre au Dôme et m’a demandé si elle pouvait faire mon interview. Je lui ai dit que mon amie Joëlle l’avait déjà faite. Alors nous avons décidé d’opérer un échange à bâtons rompus entre elle et moi, à sa demande, permettant d’assurer le passage des générations …


Claire : Alyssia, tu as 18 ans et un peu plus de 50 ans nous séparent, mais toi tu commences l’ornithologie beaucoup plus tôt que moi car, à quatre ans, c'est sûr je n'étais pas du tout dans l'ornitho ! Je vivais dans la banlieue parisienne et j'avais des parents qui étaient très urbains. Toutefois, mon père aimait bien la campagne et on allait se promener dans les bois aux alentours mais l'ornithologie, ce n'était pas plus que ça. J'ai vraiment eu une enfance plutôt littéraire sous l’influence de ma mère. J'ai ainsi beaucoup lu, et donc les sciences naturelles m'intéressait moyennement. Cependant, je connaissais déjà les oiseaux du jardin. En effet, on avait un petit jardin et on nourrissait les oiseaux sur le balcon, avec des miettes de pain par exemple, et ainsi je connaissais bien les moineaux, les pinsons, les mésanges, et j’ai découvert plus tard qu’il s’agissait de moineaux friquets.

Alyssia : Moi, j’ai commencé l’ornithologie en effet dès l’âge de 4 ans lorsque je suivais mon grand-père en baie de Sallenelles. J’étais malade et je ne pouvais pas aller à l’école régulièrement, j’étais gardée chez mes grands-parents et c’est ainsi que j’ai fait mes premières armes avec lui. Je crois même que j’ai appris à lire dans son guide ornithologique.

C : C’était peut-être le fameux Peterson ?

A : Je ne m’en souviens plus mais en tout cas j’y ai appris les noms des oiseaux et c’est devenu très vite une passion. Cette passion s’est transformée au fil du temps en vocation et je veux devenir ornithologue professionnelle.

C : Je peux te raconter si tu veux mes débuts qui sont très différents des tiens, évidemment.
Je suis venue faire mes études à Caen, à la fac, car je suis arrivée après un BTS que j’avais fait à Paris. C'est là que j'ai rencontré Gérard ! Et donc j'ai commencé l'ornithologie vraiment beaucoup plus tard que toi, vers 22/23 ans. On s'est beaucoup promenés, on avait plein de copains avec lesquels on faisait des balades, en Normandie et même en Bretagne. À la fac, j'ai appris beaucoup de choses que j'ignorais totalement auparavant sur la zoologie marine et l'écologie marine ! Et ça me plaisait vraiment beaucoup.
J'ai ensuite suivi mon petit bonhomme de chemin, c'est-à-dire que je me suis formée toujours aux côtés de Gérard et comme lui était passionné par les oiseaux marins, eh bien je me suis également passionnée sur les oiseaux marins ! (rires)
Je crois que toi aussi tu te passionnes pour les milieux marins.

A : Oui, comme j’ai appris au bord de la mer, très vite mon souhait a été d’étudier les oiseaux marins. En 2019, j’ai vu un reportage à la télévision sur Chizé avec la présentation des études faites en Arctique et en Antarctique. Alors, je suis vite allée sur le site Web de Chizé et j’ai ainsi appris l’existence de David Grémillet, de ses programmes de recherche ; j’ai, aussi, su que l’université de La Rochelle serait la plus adaptée au démarrage de mes études universitaires.
Après mon Bac (bac généraliste : physique – maths et sciences de la vie et de la terre), j’ai dû passer par l’épreuve de Parcoursup qui n’a pas été si simple. Alors j’ai postulé directement à l’université de La Rochelle pour faire une licence parcours CMI (Cursus Master en Ingénierie), intitulée « Ingénierie Environnementale des Territoires Littoraux ». Je suis donc actuellement en première année de licence sciences de la vie, parcours CMI, à La Rochelle.

C : alors maintenant, expliques-moi comment tu as connu le GONm.

A : Je connais le GONm depuis assez longtemps, j’ai suivi les deux ans de formation organisée par Didier Desvaux ainsi que le stage associé dans le Val-de-Saire. J’ai fait aussi pas mal de terrain en Baie d’Orne pour le suivi des gravelots à collier interrompu : surveillance, comptages etc... J'ai également assisté à plusieurs baguages de passereaux à la Prairie de Caen et j'ai même participé à la tenue de plusieurs stands, notamment sur la plage de Ouistreham ou encore au Château de Mézidon-Canon !
En fait, ma maman est aussi motivée car elle connaît bien M. Corbel, chef du cabinet CORFEC (l’expert-comptable du GONm, NDRL) chez qui elle travaille et cela m’a aidé pour entrer en relation avec l’association. D’ailleurs, dès 2019, j’ai fait mon stage de 3ème de découverte en entreprise au local du GONm.
Plus récemment, j’ai assisté aux conférences de la table ronde que vous avez organisée pour le 50ème anniversaire du GONm au Dôme à Caen le 9 décembre. J’étais toute excitée à l'idée de rencontrer David Grémillet que Gérard Debout connaît bien et nous avons évoqué un éventuel accueil au CEFE de Montpellier où il travaille en 2023, pour un stage professionnel.
table ronde - Dôme - 9-12-2022. photo Claire Debout
table ronde - Dôme - 9-12-2022. photo Claire Debout
Alyssia, GDe, DGr-Dôme-2022.jpg (105.33 Kio) Vu 3472 fois

C : tu as, tu t’en doutes, encore beaucoup de chemin à faire avant de trouver ta voie finale.

A : Oui, alors je me renseigne un peu tous azimuts : par exemple, je suis allée à une porte ouverte à Chizé, à l'occasion de la fête de la science, en octobre 2022 ; j’ai vu Christophe Barbraud, Christophe Guinet ou encore Olivier Chastel qui ont présenté les programmes de recherche dans lesquels ils travaillent. Ils ont notamment parlé de l’Arctique et de l’Antarctique et des autres pays dans lesquels ils travaillent !
J’ai aussi tenté ma chance à un concours photos lancé par le CEBC (Centres d’Études Biologiques de Chizé), en septembre 2021. Le prix était de passer une journée auprès d’un chercheur, de découvrir son métier de chercheur au quotidien ainsi que les études réalisées au sein du CNRS. Malheureusement, je n’ai pas gagné. Mais je retenterai ma chance l'année prochaine car le CEBC organise ce concours de nouveau l'été prochain !

C : Gérard pendant un temps a fait aussi beaucoup de photos, mais cela a toujours été un simple accompagnement de nos observations et non pas un but. Tu t’en doutes, porter les jumelles, la longue-vue (indispensable pour le milieu marin) avec son pied et, en plus, le téléobjectif, c’était lourd encombrant et, avec les enfants, on préférait se promener « légers », surtout que tous les quatre, on est allés beaucoup à l'étranger, surtout en Europe (Gérard et moi ne prenons pas l'avion ni l'un ni l'autre !). On est allés beaucoup en Espagne, l’été pendant les vacances scolaires quand les enfants étaient petits, de très nombreuses années de suite et en Italie mais quand ils étaient plus grands ! À chaque fois, qu'on allait dans un nouveau pays, on alliait toujours culture et ornithologie. Ainsi, on ne visitait pas un pays pour les sites culturels les plus visités, mais on orientait plutôt notre voyage sur des sites ornithologiques là où l'on savait que l'on découvrirait des espèces nouvelles ou particulières ou des sites remarquables pour la nidification de certaines espèces telles que des vautours, autres rapaces, etc. On a beaucoup utilisé les guides anglais « Where to watch birds in … ». Et lorsque l'on avait établi notre carte des sites ornithologiques importants, on recherchait des coins intéressants à visiter dans les villages et villes alentours ! Et on disait « ah bien tiens ici, juste à côté de ce site, il y a une toute petite ville avec un super musée ! ». C'est arrivé souvent dans l'Aragon, dans le Nord de l'Espagne, où il y avait de petites villes comme Huesca ou Jaca avec des musées extraordinaires où nous avons découvert des fresques très anciennes.
Donc, comme tu peux le voir, on a initié très tôt les enfants à l'ornithologie et à l'art et d'ailleurs je pense que c'est un peu pour ça, que notre fils, Guillaume est un peu tombé là-dedans (rires), c'est-à-dire dans l'art et dans le dessin. Moi aussi, je dessinais beaucoup, j'ai fait notamment quelques dessins pour les atlas précédents. Bon, maintenant je n'en fais plus du tout, mais Guillaume a pris le relais ! Il a un côté assez artistique, notamment quand il s'occupe du site du GONm ou qu'il fait des maquettes ou des affiches ! Il a même fait la mise en page du précédent atlas du GONm paru en 2009. Je pense que ça vient de là, du fait qu'il soit tombé dedans très tôt ! Souvent dans les musées, il avait un calepin et dessinait ou recopiait ce qu’il voyait.
Sinon, on a fait aussi beaucoup de voyages dans les pays du Nord jusqu’en Laponie ! Bien sûr, toujours en voiture ! Je me souviens de la première fois, Gérard travaillait. Il était de correction du baccalauréat. À l'époque, ces corrections allaient jusqu'au 15 Juillet ! On s'était dit : « il faudrait absolument que l'on arrive tout là-haut, en haut de la Norvège, pour voir les oiseaux marins nicheurs avant qu'ils partent, pendant le temps où ils y sont encore en grand nombre en fin de saison de nidification ». Et donc on part, tous les quatre, le 13 juillet au soir et on est montés à toute vitesse en voiture, en passant par l'Allemagne, le Danemark, la Finlande ! On est arrivés en trois jours dans le fjord que l'on souhaitait découvrir : le Varanger fjord. Quand on est arrivés là-bas c'était super parce que ça a été la découverte de nombreux oiseaux nordiques. On est allés aussi dans des petites îles où il y avait de nombreuses colonies d'oiseaux nicheurs, tels que des macareux moines, des guillemots à miroir, de Brünnich, etc.

A : Le Svalbard ?

C : Ah non, on n’est pas allé au Spitzberg ! On regrette un peu car on aurait bien voulu y aller, mais on manquait de temps à l’époque, on ira peut-être un jour !
Et toi tu as fait déjà de grands voyages ?

A : J’ai déjà fait des voyages en Guadeloupe et en Martinique où j’ai découvert, admiré et photographié les nombreuses espèces de colibris ; dans deux ans, je dois faire un échange universitaire de trois mois à l'international, dans le cadre de mon CMI. Je pense sans doute aller à l'Université de Waikato, en Nouvelle-Zélande, accueillant des étudiants « CMIstes ». Cette université a une assez bonne réputation pour l'étude des oiseaux marins. De plus, je ne suis pas très forte en langues étrangères : je n'ai pas fait d'espagnol au collège ni au lycée et mon niveau d'allemand n'est pas assez élevé pour un échange universitaire en Allemagne ! Je suis donc limitée à un pays anglophone. Or, la Nouvelle-Zélande est un pays anglophone. Ainsi, l'anglais devrait suffire. Je me renseigne aussi pour faire éventuellement, dans les années qui viennent, un service civique proposé par l'Institut Polaire Français Paul-Émile Victor, pour les personnes âgées de 18 à 25 ans, en Arctique ou dans les TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises). L’Arctique a l’air plus facile pour un hivernage, mais le nombre de places n’est pas illimité !

À travers de ce que vous m'aviez dit précédemment, je me suis demandée, quel était le moment le plus passionnant que vous ayez vécu au sein du GONm ?

C : Au sein du GONm ? Oh là là ! Je ne suis pas une ornithologue super pointue, mais j'aime beaucoup les oiseaux ! Comme j’ai une assez bonne oreille, j'ai repris l'enquête Tendances : ce sont des oiseaux communs, c’est plutôt une approche par les milieux et les ambiances !
Une autre activité passionnante a été d’assister à Paris au « Colloque Francophone d'Ornithologie ». Il n'y avait pas que des français, comme tu peux le comprendre avec le terme « Francophone », il y avait aussi des belges, des suisses et des ornithologues plus lointains. On y a rencontré beaucoup d'ornithologues de toutes les générations, des personnes déjà âgées et très connues, mais aussi des ornithos hyper jeunes ! Il commençait à y avoir des étudiants qui faisaient des DEA et qui venaient aux Colloques pour présenter leurs travaux et puis il y avait tous les milieux sociaux, des ouvriers, des profs, toutes catégories professionnelles. Tous ces gens-là se parlaient, absolument sans gêne entre eux en toute liberté aux moments où il y avait des espaces de temps entre les conférences. C'était formidable !
C'est vrai que c'est un petit peu un regret aujourd'hui puisque, maintenant, il y a tellement de choses qui se font en ligne et, de ce fait, on converse moins, on a moins l'occasion d'échanger de façon directe des résultats d'études, de dire « tiens, moi je travaille là-dessus et toi là-dessus, on pourrait se mettre ensemble sur tels sujets », etc. Les communications sont plus rapides mais je crois moins riches et c'est donc un peu un regret pour moi.

La suite de ces colloques a été assez courte : l’amphithéâtre du Muséum s’écroulant, il a fallu déménager à la faculté d’Assas puis Pierre Nicolau-Guillaumet, l’organisateur principal a lancé l’idée d’une délocalisation en région. Comme cette année-là en 2002, il s'agissait de notre 30ème anniversaire, nous avons proposé que le GONm accueille le Colloque Francophone d'Ornithologie et j’en ai été l’organisatrice. La manifestation a été absolument superbe.

D’autres moments passionnants ont été d’accompagner Gérard à Chausey pour l’organisation des week-ends de l'Ascension. La rencontre avec les propriétaires de la SCI des Îles Chausey, c'est-à-dire le groupe de personnes qui possèdent tous les îlots de l'archipel et les trois quarts de la grande île. Une très bonne relation s'est instaurée entre le président de la SCI et Gérard, ce qui a permis de protéger le site en le mettant en réserve.

Tu m ‘as parlé de ton engagement au sein des Blairoudeurs, à l’Université de La Rochelle, de quoi s’agit-il ?

A : Il s'agit d'une association étudiante créée en 2020 et ayant trois antennes pour l'instant en France : à Paris, au Bourget-du-Lac (en Savoie) et à La Rochelle (en Charente-Maritime). Elle a pour principal but de reconnecter les étudiants à la nature qui nous entoure. Ainsi ses principales actions, pour le cas des Blairoudeurs de La Rochelle Université, sont d'organiser, tous les mois des sorties sur le terrain, pouvant être plus ou moins orientées sur un sujet particulier ! Les sujets étudiés sont divers : sorties sur les champignons, sur les amphibiens, sur les plantes et bien évidemment des sorties ornithologiques sur le littoral (Baie d'Aytrée) ou dans les marais (Marais du Poitevin).
Je me suis engagée dans la communication au sein de cette association ainsi que dans la médiation. Avec les autres membres du groupe médiation, nous n'allons pas tarder à organiser des animations au Muséum d'Histoire Naturelle de La Rochelle. Nos animations porteront sur deux sujets : d'un côté les rapaces et leurs rôles dans les écosystèmes et de l'autre les espèces invasives dans les marais !
Je n'ai pas encore eu l'occasion de réaliser des sorties en compagnie des Blairoudeurs, mais j'ai pour objectif pour le deuxième semestre, de participer à plusieurs sorties ornithologiques en baie d'Aytrée (village en bord de mer situé juste en-dessous de La Rochelle). A chaque sortie ornithologique réalisée, dès qu'une moindre plume se balade dans l'air, ils l'observent et tentent de l'identifier, même cas de figure pour une empreinte animale. Parfois, ils envoient des photos de leurs trouvailles sur les réseaux sociaux !

C : Lorsque je suis sur le terrain, j'aime bien aussi ramasser ce que je trouve, une plume, une coquille d’œuf. Comme à la fac, je faisais des études avec des microscopes électroniques à balayage et que j'avais lu des articles scientifiques sur la structure des coquilles des œufs, je me suis demandée pourquoi les œufs des cormorans sont, lors de leur ponte, d'une très jolie couleur bleu ciel, puis au bout d'un ou deux jours à peine ils se recouvrent d'une espèce de pellicule blanchâtre relativement épaisse. Les œufs deviennent blancs. Comment les oisillons pouvaient-ils respirer à l'intérieur de leur coquille puisqu’elle était recouverte par cette couche qui paraissait très compacte ? J'ai donc fait un peu de microscopie électronique et lu pas mal d’articles anglais à ce sujet. Il se trouve que cette enveloppe calcaire a elle-aussi des pores permettant à l'embryon de respirer et le rôle de cette couverture est plutôt un rôle de protection contre les infections bactériennes. C'était passionnant de suivre et de poursuivre cette bibliographie, de voir comment les gens ont trouvé ce système d'enveloppe présent sur la coquille des œufs qui permettait à l'oxygène de passer et à empêcher que les bactéries puissent rentrer !

A : Avez-vous eu un mentor ? Et si oui, qui est-ce ?

C : En ornithologie ? Tu ne devines pas ?

A : Gérard ?

C : Bah oui ! (rires) On a toujours tout fait ensemble. Aussi quand il allait faire une excursion quelque part, je le suivais. C'est lui essentiellement qui m'a appris. Je pourrais citer également Jean Collette, pas vraiment pour les oiseaux mais pour ses explications sur les milieux. Il a une connaissance à ce sujet exceptionnelle ! pour s’en persuader il n’y a qu’à lire les textes qu’il écrit dans RNN, la revue sur les réserves du GONm qui est en ligne sur le site. J’ai appris aussi bien des choses avec Bruno Lang et Alain Chartier qui ont chacun leurs spécialités.

A : Ok ! Je viens de me demander : avez-vous une anecdote amusante concernant votre vie au sein du GONm ?

C : J'en ai plein ! J'ai notamment une anecdote sur les sorties dans les marais avec Alain Chartier. Quand tu te promènes en sa compagnie, il a ses bottes et il fonce toujours tout droit, que ça soit droit ou pas droit, haie ou pas haie, fil de fer barbelé ou pas, fossé ou pas fossé, donc tu suis comme tu peux et évidemment je me suis mise dans un fossé, avec les bottes trempées, c'est assez classique comme anecdote, car je pense que c'est arrivé à beaucoup de monde ! Mais ça fait en général bien rire.
J'en ai une autre si tu veux : j'étais sur un canot de Chausey (bateau traditionnel de l’archipel) avec Gérard. On avait le sac photo dans le fond du canot, l'appareil photo autour du cou, les jumelles et autre matériel ; au moment d’accoster, je tends le bras pour essayer d'attraper un caillou pour m'accrocher et je commence à passer la jambe au-dessus du bateau pour poser le pied à terre et, évidemment, je me casse la figure entre le canot et les rochers … dans l'eau avec l'appareil photo. J'ai sorti ce dernier très vite de l'eau mais il a quand même souffert !
Finalement, tu vois la vie d’ornithologue n’est pas forcément un long fleuve tranquille mais elle procure tant de joies. Tu vas, dans les années qui viennent, trouver ta voie et tu auras aussi plein d’histoires à raconter.

A : Sans doute mais je ne me suis pas encore décidée si je m’orienterais plutôt vers la recherche pure ou vers la conservation. Des stages devraient m’aider à m’orienter, stages avec la RSPB ou encore des périodes de volontariat, notamment en Écosse, au CEFE (Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive) de Montpellier, au CEBC (Centre d'Etudes Biologiques de Chizé) … ou à Chausey, je verrai !

Je tiens à remercier chaleureusement Madame DEBOUT pour avoir accepté ma proposition d'interview, qui s’est transformée en interview croisée - Alyssia
Claire DEBOUT
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